Les réseaux sociaux font aujourd’hui partie intégrante de la vie de nombreuses personnes qui n’hésitent pas à partager les différents événements de leur vie privée sur internet. On considère que 53 % des parents français ont déjà partagé ou publié une photo de leur(s) enfant(s) sur les réseaux sociaux.
Ce phénomène, qui consiste pour les parents à publier des photos et vidéos de leurs enfants sur les réseaux sociaux afin d’immortaliser les grands moments de leur vie, porte le nom de « sharenting ». Cette expression, d’origine anglo-saxonne, associe deux mots, « sharing » qui signifie « partage », et « parenting » qui renvoie à l’adjectif « parental ».
Pour autant, cet acte ne constitue rien d’anodin et pose inévitablement la question de la protection de l’image des enfants sur les réseaux. Une question qui peut notamment donner lieu à des mésententes lorsque les parents sont séparés et que l’un d’eux décide de poster des photos de leur(s) enfant(s) sur ses réseaux sociaux sans l’accord de l’autre.
Il est primordial de s’interroger sur la manière dont les parents partagent les images de leurs enfants sur les réseaux sociaux et de trouver un équilibre entre le partage des moments de vie en ligne et la protection de l’intimité de l’enfant.
Face aux dangers de la surexposition des enfants, une loi ayant pour objectif de renforcer et protéger le droit à l’image des enfants face aux dérives de la surexposition sur les réseaux sociaux par les parents a été adoptée le 19 février 2024.
Droit à l’image de l’enfant et exercice de l’autorité parentale
La question de la publication de photos en ligne renvoie à celle du droit à l’image. Le droit à l’image de l’enfant permet d’autoriser ou, au contraire, d’interdire la reproduction et la diffusion publique de son image. Il va de pair avec le droit au respect de la vie privée, qui permet d’autoriser ou de refuser la divulgation d’informations concernant sa vie privée. Si son droit à l’image appartient à l’enfant, dans la mesure où il demeure soumis à l’autorité parentale de ses parents jusqu’à sa majorité, il incombe à ces derniers d’accorder l’autorisation ou non de la publication d’une image.
Comme il a pu être rappelé dans la proposition de loi n°758 de janvier 2023 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, « titulaires de l’autorité parentale et à ce titre, du droit à l’image de l’enfant, les parents en sont à la fois les protecteurs et les gestionnaires. L’avènement d’une économie de l’influence a accru les tensions entre ces deux intérêts, au point qu’ils puissent rentrer en conflit, en raison du gain financier, social ou émotionnel à tirer de l’exploitation de l’image de l’enfant ». À ce propos, l’article 371-1 du Code civil dispose que :
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
Sauf décision contraire rendue par le Juge aux Affaires Familiales, les parents exercent donc l’autorité parentale sur leurs enfants de manière conjointe et ce, même en cas de séparation ou de divorce.
En effet, l’article 373-2 du même code précise que la séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale. Autrement dit, même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants, ce qui découle du principe de coparentalité consacré par le Code civil. Ce principe vise ainsi à conférer aux deux parents les mêmes droits quant à l’éducation de leurs enfants, et ce, qu’ils vivent en couple ou qu’ils soient séparés.
Une distinction s’opère entre les actes importants dits non usuels qui nécessitent l’accord des deux parents et les actes usuels pour lesquels le parent est réputé agir avec l’accord de l’autre, à l’égard des tiers de bonne foi. Les actes non usuels nécessitent quant à eux l’accord des deux parents.
Publication de photos sur les réseaux sociaux : acte usuel ou non ?
Se pose la question de savoir si la publication des photos de l’enfant sur les réseaux sociaux relève d’un acte usuel ou non usuel.
À ce propos, la jurisprudence a été amenée à se positionner sur cet acte en considérant que la publication de photographies du mineur sur les réseaux sociaux peut être un acte important nécessitant l’accord des deux parents (CA Versailles, 2e ch. Sect. 1, 25 juin 2015, n°13-08349).
Pour justifier cette solution, la Cour d’appel de Versailles avait retenu que « la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel mais nécessite l’accord des deux parents ».
Dans le même sens, dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a pu faire droit à la demande d’une mère en interdisant à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent, considérant implicitement que le fait pour un parent de diffuser des photos de son enfant sans l’accord de l’autre était contraire à l’intérêt de l’enfant.
La Cour d’appel de Paris précise qu’une telle interdiction s’impose aux fins de « respecter l’exercice conjoint de l’autorité parentale qui nécessite l’accord des deux parents concernant les décisions à prendre dans l’intérêt de l’enfant ».
Une position différente a toutefois été retenue par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 4 janvier 2011 bien que la situation fût strictement identique.
Dans cet arrêt, les juges avaient rejeté la demande de la mère au motif que « les photographies de l’enfant s’inscrivent dans le cadre de communication personnelle entre amis (photos d’anniversaire de l’enfant) ».
Dès lors, si l’on se rapporte à cette solution, un parent n’aurait pas besoin d’avoir l’accord de l’autre parent pour publier les photos de ses enfants si son compte Facebook est configuré de manière à ce que les photos qu’il publie ne puissent être consultées que par ses amis.
Selon cet arrêt, il conviendrait de distinguer le cas où les photos du quotidien de l’enfant sont visibles par un groupe restreint de personnes (acte usuel) et lorsqu’elles sont visibles par tout public, c’est-à-dire par des tiers (acte non usuel). Une solution qui demeure néanmoins minoritairement retenue.
Quel recours en cas de publication sans l’accord de l’autre parent ?
La loi française restait jusqu’à présent relativement lacunaire sur les droits de l’enfant, et c’est donc à travers la notion de l’ autorité parentale et son exercice que le Juge aux affaires familiales peut intervenir.
En effet, comme précédemment développé, la publication des photos sur les réseaux sociaux découle des mesures prises par les parents dans l’exercice de l’autorité parentale, sur le fondement de l’article 371-1 du Code civil.
À cet égard, il découle de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 25 juin 2015 que pour assurer l’effectivité de l’interdiction de publier tout document concernant l’enfant, commentaires ou photographies lorsque le parent désapprouve la publication, il est possible de solliciter devant le Juge aux affaires familiales la cessation de toute publication, ainsi que la suppression, notamment sous astreinte, de tout élément déjà publié sur le fondement de l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant.
Les apports de la loi pour garantir le respect du droit à l’image des enfants
Le texte de loi du 19 février 2024 est avant tout pédagogique pour les parents, il vise à intégrer dans les règles du Code civil relatives à l’autorité parentale le respect de la vie privée et du droit à l’image des enfants. Il permet ainsi de répondre aux conflits d’intérêts dans l’exercice du droit à l’image de l’enfant.
Le Code civil est ainsi modifié pour :
- Introduire dans la définition de l’autorité parentale la notion de vie privée, consacrant de manière expresse l’obligation des parents de veiller au respect de la vie privée de leur enfant, y compris son droit à l’image, au titre de leurs prérogatives liées à l’exercice de l’autorité parentale.
- Permettre au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent.
- Inscrire que « les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur » et que « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité », conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
De plus, une délégation partielle forcée de l’autorité parentale est créée en cas de diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.
Une pratique bienveillante et dangereuse pour les enfants
Un dernier article permet à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de saisir le juge des référés pour demander toute mesure de sauvegarde des droits de l’enfant en cas d’inexécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement de données personnelles, modifiant ainsi l’article 21 de la loi « Informatique et libertés ».
Le sharenting peut être à la fois une pratique bienveillante et dangereuse pour les enfants. Il est donc essentiel que les parents prennent conscience des enjeux liés à cette pratique et veillent à protéger l’image et la vie privée de leurs enfants sur internet. Il est important de sensibiliser les parents aux risques tels que l’usurpation d’identité, la surveillance en ligne, le cyberharcèlement ou encore la gestion de la réputation numérique de l’enfant.
La récente réglementation vise à encadrer cette pratique en instaurant des règles claires pour garantir la sécurité et le respect de l’intimité des enfants.
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