
Un accusé peut-il tout se permettre ? Mentir à sa guise pour se tirer d’affaire ? Désigner en toute impunité un autre que lui ? Si cette attitude est condamnable sur le plan moral, la réponse ne va pas de soi d’un point de vue juridique. La question sera posée ce mercredi 10 avril, au tribunal correctionnel de Besançon (Doubs), devant lequel doit comparaître Jonathan Daval, condamné le 21 novembre 2020 à vingt-cinq ans de réclusion pour le meurtre de son épouse Alexia.
On se souvient que, cinq mois après être passé aux aveux, en janvier 2018, l’informaticien de Gray avait radicalement changé sa version des faits, se disculpant et mettant en cause sa belle-famille, notamment l’époux de la sœur d’Alexia, Grégory Gay. Devant le juge, en juin 2018, il accuse ainsi son ex-beau-frère d’avoir « étranglé » Alexia, en proie à une « crise hystérique », pour « la calmer », au cours d’une réunion de famille. Un « pacte familial » aurait ensuite été scellé pour étouffer l’affaire.
C’est peu dire que ces accusations n’ont pas résisté longtemps aux éléments de l’enquête. Alors que les experts brossent de lui le portrait d’un homme « manipulateur, colérique, agressif » et « potentiellement dangereux », de nouveaux éléments accablent Daval. Le 21 octobre 2018, une bombe aérosol de mousse polyuréthane expansive est retrouvée chez lui ; le bouchon manque, et pour cause : il a été retrouvé sur les lieux de la crémation du cadavre de la malheureuse jeune femme. Le 25 novembre, un document Word détaillant un faux déroulement de son emploi du temps le jour où Daval signale aux gendarmes la disparition de sa femme est exhumé de son ordinateur.
Au terme d’une confrontation avec sa belle-mère dans le bureau du juge, le 7 décembre 2018, Jonathann Daval revient sur ses accusations et confirme ses aveux initiaux, obtenus en garde à vue le 30 janvier 2018. En pleurs, agenouillé devant la mère d’Alexia, Isabelle Fouillot, il confirme avoir agi seul et demande « pardon ». Deux ans plus tard, la cour d’assises de la Haute-Saône reconnaîtra sa culpabilité pleine et entière. Alors que la perpétuité a été requise, les jurés prononcent la peine de vingt-cinq ans de réclusion.
Traînée dans la boue, accusée du pire, la famille d’Alexia demande aujourd’hui réparation. Par le biais d’une « citation directe », dont le parquet s’est tenu à l’écart, elle poursuit Jonathann Daval en correctionnelle pour « dénonciation calomnieuse ». Et elle entend lui réclamer 60 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
L’article 226-10 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de dénoncer, auprès d’une « autorité », « une personne déterminée » d’un fait que l’on sait « totalement ou partiellement inexact » et de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires.
Toutes les conditions légales semblent remplies, en l’espèce, pour aboutir à une condamnation. Mais les choses ne sont pas si simples. « En droit français, un accusé est libre, totalement libre, de se défendre par tous les moyens, y compris par des moyens indignes », indique l’avocat François Saint-Pierre, auteur de Pratique de défense pénale (la 7e édition vient de sortir chez LGDJ) qui fait autorité auprès de ses confrères. « Il a été jugé à plusieurs reprises qu’un accusé ayant faussement mis en cause une autre personne pour le crime qui lui est reproché ne pouvait être, en principe, condamné pour dénonciation calomnieuse », précise Me Saint-Pierre.
Mais il y a là aussi un « mais »… Dans un arrêt du 28 mars 2017, la Cour de cassation a jugé qu’un accusé pouvait être poursuivi pour dénonciation calomnieuse à condition que la dénonciation – d’une autre personne, innocente – ait été « spontanée », et dans la mesure où elle portait directement sur son affaire. Les propos tenus dans le cadre d’une enquête après une interpellation – en garde à vue, notamment – ou durant un procès ne sauraient être considérés comme « spontanés ».
« C’est toute la question que devra examiner le tribunal de Besançon », observe Me Saint-Pierre. « Il semblerait que M. Daval ait incriminé sa belle-famille au cours d’une audition organisée à sa demande et à son initiative, dans le cadre de l’instruction. Peut-on parler, dès lors, de déclarations “spontanées” ? M. Daval a-t-il pris lui-même l’initiative de cette audition, dénonçant un tiers sans qu’on ne lui ait rien demandé, ou n’a-t-il fait que répondre aux questions qui lui étaient posées au cours d’un nouvel interrogatoire organisé dans le cours normal de l’information judiciaire ? Voilà le point sur lequel les juges auront à arbitrer », décrypte Me Saint-Pierre.
« Chacun peut se mettre à la place de l’ex-beau-frère de M. Daval, calomnié de façon très blessante et préjudiciable. Son action est légitime, mais la question sur laquelle le tribunal aura à se prononcer porte sur les limites à la liberté de se défendre, qui est une question complexe, importante et très sérieuse », ajoute cet avocat.
Sur le plan civil, le préjudice ne fait aucun doute, mais qu’en sera-t-il au pénal ? « Si j’étais juge, je relaxerais M. Daval au nom de la liberté d’expression de la défense et du droit de ne pas s’auto-incriminer, tout en soulignant que sa conduite est indigne. Mais je ne suis pas juge », souffle François Saint-Pierre.
Très sévèrement puni dans les pays anglo-saxons, qui poursuivent le « parjure » et le répriment sans faiblesse, le mensonge est un « droit » reconnu dans la procédure pénale française. Ainsi, un suspect, une personne mise en examen ou un accusé ne prête pas serment en jurant de « dire toute la vérité ». Du reste, de son droit (constitutionnel) au silence découle son droit à ne pas « s’accuser lui-même », qui implique lui-même le droit de mentir.
Mais les choses évoluent. Dans un très récent arrêt (4 avril 2024), la Cour de cassation a admis qu’une juridiction pouvait tenir compte, dans le choix de la peine, de la manière dont l’accusé ou le prévenu s’était « situé par rapport aux faits ». Ainsi, une peine peut fort bien être aggravée du fait des mensonges ou de la mauvaise foi du mis en cause. « Le mensonge a tout de même un prix », conclut Me Saint-Pierre. Sauf que, dans cette affaire, la sentence a déjà été prononcée.
Des reproches pourraient-ils, enfin, être adressés à l’avocat de Daval qui l’aurait suivi dans ce système de défense aussi « indigne » qu’invraisemblable ? « Aucune règle déontologique ou disciplinaire ne saurait s’appliquer dans cette situation. Chaque avocat est totalement libre de ses choix de défense, dont il ne saurait lui être demandé des comptes », insiste Me Saint-Pierre.
* Pratique de la défense pénale, de François Saint-Pierre, LGDJ Lextenso, 7e édition, avril 2024.
* À lire également, du même auteur et chez le même éditeur : Trois procès extraordinaires, récit, sur le procès d’Éric Dupond-Moretti et des magistrats Édouard Levrault et Patrice Amar (février 2024).
La raison d’être de editionsefe.fr est de trouver en ligne des communiqués autour de Edition Juridique et les présenter en s’assurant de répondre au mieux aux interrogations des gens. Le site editionsefe.fr vous propose de lire cet article autour du sujet « Edition Juridique ». Cette chronique se veut reproduite du mieux possible. Vous avez la possibilité d’envoyer un message aux coordonnées fournies sur le site dans le but d’indiquer des explications sur ce texte sur le thème « Edition Juridique ». Dans peu de temps, nous publierons d’autres informations pertinentes autour du sujet « Edition Juridique ». Cela dit, visitez régulièrement notre site.