Le 30 octobre dernier, un pédiatre d’Ile-de-France apprenait qu’il était suspendu à titre conservatoire, à la suite du recueil d’au moins deux témoignages d’internes qui se sont plaints de faits présumés d’agressions sexuelles.
Cette procédure, exceptionnelle, a été rendue possible grâce au travail de signalement de violences sexistes et sexuelles (VSS) par le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP). Entretien avec sa présidente, Marine Loty.
Medscape édition française : Comment avez-vous mis en lumière les violences sexistes et sexuelles dans les hôpitaux d’Ile-de-France ?
Marine Loty : Nous avons mis en place une plateforme d’évaluation des stages. Dans cette application, nous avons inclus un champ libre nommé « alerte » où les internes peuvent évoquer des situations difficiles, entre autres de harcèlement. Ces signalements ne sont visibles que par le syndicat. Nous nous sommes rendu compte que depuis le #metoo, il y avait beaucoup plus de signalements, non pas parce qu’ils se sont multipliés, mais plutôt parce que la parole s’est libérée. À partir de ce moment, nous avons décidé que lorsque nous réussissions à collecter au moins deux signalements dans un service sur une période de deux ans, nous lancions un questionnaire. Nous avons lancé 48 questionnaires mais seule une partie a été analysée, les 16 premiers. Comment procède-t-on ? Nous envoyons ces questionnaires aux internes, et nous attendons d’obtenir au moins 50% de réponses à ces questionnaires avant de faire un retour aux services. Sur les 16 premiers questionnaires, nous avons obtenu 46% de réponses, soit à peu près 500 internes qui ont répondu sur 1000 envois. Pour tout ce qui concerne les « remarques, gestes déplacés à caractère sexuel », cela concerne 5% des réponses, et le harcèlement moral, subi ou constaté, représente 20% des réponses.
Soit le praticien était suspendu, soit nous retirions tous les internes du service
Comment êtes-vous parvenu à faire en sorte qu’un pédiatre soit suspendu à titre conservatoire ?
Marine Loty : Pour ce pédiatre, la démarche a été un peu différente. Son cas n’avait pas été signalé dans les alertes du précédent semestre, mais par des alertes de dernière minute. Dans un premier temps, on nous avait signalé des gestes et des remarques un peu déplacés, et lorsque nous avons lancé le questionnaire, nous avons recueilli le témoignage d’une agression sexuelle. Nous avons lancé le questionnaire le jeudi 17 octobre, et un en peu moins de deux semaines nous avons obtenu la suspension de ce praticien, car la procédure a été collective. Deux victimes ont livré leur témoignage à la direction des affaires médicales, de manière non anonyme et accompagnées d’un membre du syndicat. Les faits se sont déroulés dans un hôpital de Seine-Saint-Denis qui ne fait pas partie de l’AP-HP. Le coordonnateur de la spécialité était d’accord avec nous, tout comme le doyen, et l’agence régionale de santé (ARS). Soit le praticien était suspendu, soit nous retirions tous les internes du service. Le danger était immédiat pour les autres internes s’il restait en poste, puisque les faits étaient récents et dataient de moins de deux ans.
Le phénomène #Metoo a changé la donne
Les deux victimes ont-elles par ailleurs porté plainte en justice, et l’Ordre des médecins a-t-il été saisi ?
Marine Loty : C’est en cours, l’affaire est récente. L’accompagnement est plus long et complexe.
Pensez-vous que la parole des victimes est mieux prise en compte actuellement ?
Marine Loty : Le phénomène #Metoo a changé la donne. Depuis le mois d’août nous recueillons beaucoup de témoignages et nous accompagnons les victimes pour leur montrer qu’elles ne sont pas seules. Les seize premiers questionnaires analysés ont été présentés en Commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP, à la direction. Les analyses sont faites en collaboration avec les directions, les services, les doyens… Nous avons mené un travail collectif ce qui nous a permis de faire prendre conscience que ces violences sexistes et sexuelles existent, qu’il faut les condamner. Le changement de mentalité a été global et nous y travaillons ardemment. Quoi qu’il en soit, nous savons que les plaintes pénales n’aboutissent que dans très peu de cas, ce sont des procédures très longues, les victimes par ailleurs se plaignent d’être très peu accompagnées, c’est la raison pour laquelle nous sommes présents auprès d’elles. Nous les avons accompagnées pour témoigner auprès de la direction médicale, nous leur proposons des aides psychologiques, elles ont notre contact et peuvent nous appeler quand elles le souhaitent… On leur propose aussi un accompagnement juridique pour le dépôt de plainte, nous les soutenons et cela marche plutôt bien. Quant à l’Ordre des médecins nous attendons qu’il prenne des mesures, mais l’histoire nous apprend qu’il n’en prend que très peu. Dans une grande majorité des cas, ils attendent le rendu des décisions au pénal pour agir. Nous allons bien évidemment saisir l’Ordre mais la sanction administrative pour nous est déjà une grande victoire. Nous espérons aussi que le pédiatre incriminé a reçu une aide, car il va en avoir besoin.
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