Venezuela: offensive juridique du pouvoir après la réélection contestée de Nicolas Maduro

Venezuela: offensive juridique du pouvoir après la réélection contestée de Nicolas Maduro

« Nous allons nous consacrer à la tâche (…) d’approuver un ensemble de lois que vous (Maduro) avez demandées pour pouvoir défendre notre population contre la haine », a affirmé lundi le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodriguez lors d’une réunion de Conseil de défense et de l’Etat. Le Conseil national électoral (CNE) a ratifié le 2 août la victoire de Nicolas Maduro avec 52 % des voix, sans publier le décompte exact et les procès-verbaux des bureaux de vote, assurant avoir été victime d’un piratage informatique. Selon l’opposition, qui a publié les procès-verbaux obtenus grâce à ses scrutateurs – dont la légitimité est rejetée par M. Maduro -, Edmundo Gonzalez Urrutia a remporté le scrutin avec 67 % des voix.

Loi sur les ONG. L’opposition ainsi que de nombreux observateurs estiment que le piratage avancé par le CNE est une invention du gouvernement pour ne pas publier les documents électoraux. L’annonce de la réélection a provoqué des manifestations spontanées avec un bilan de 25 morts, 192 blessés et 2 200 arrestations de source officielle. L’offensive juridique survient alors que l’opposition, qui n’avait organisé qu’une seule mobilisation le 3 août, a appelé à de grandes manifestations samedi. Jorge Rodriguez promet une régulation des réseaux sociaux, une loi pour punir le « fascisme » – un terme utilisé régulièrement par le pouvoir pour désigner l’opposition – ainsi qu’une autre loi sur les ONG. Cette dernière, en préparation depuis des mois, figure en tête de l’ordre du jour mardi.

« Il existe de nombreuses organisations non gouvernementales qui servent de couverture au financement d’actions terroristes », a assuré M. Rodriguez lundi. Selon le projet de loi, qui prévoit des amendes jusqu’à 10 000 dollars, les organisations doivent s’enregistrer localement et déclarer leurs sources de financement, généralement étrangères. Une mission indépendante de l’ONU souligne que cette loi « vise clairement à limiter » le « droit d’association ». « J’exhorte les autorités à s’abstenir d’adopter ces lois et toute autre loi qui porte atteinte à l’espace civique et démocratique dans le pays », a réagi le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits humains, Volker Türk, également préoccupé par le fait que certaines personnes ont vu leur passeport « suspendu ». Des réglementations similaires ont été adoptés au Cuba, au Nicaragua, au Guatemala et en Bolivie. L’issue des travaux ne fait pas de doute, 256 des 277 députés soutenant le pouvoir, l’opposition ayant boycotté les législatives de 2020.

« Climat de peur ». Autre axe de travail de l’Assemblée nationale : « le fonctionnement des réseaux sociaux ». Depuis l’élection, M. Maduro les attaque régulièrement, assurant qu’ils tentent de déstabiliser le pays et de mettre en doute la validité de sa réélection. Il a notamment fait suspendre X pour dix jours après avoir accusé son propriétaire Elon Musk d’incitation à la haine et au fascisme. Il a aussi lancé une campagne de boycott de WhatsApp.

« Il est particulièrement troublant que tant de personnes soient détenues, accusées ou inculpées pour incitation à la haine ou en vertu de la législation antiterroriste », a affirmé mardi M. Türk dans un communiqué. Citant des sources officielles, l’ONU indique que plus de 2.400 personnes ont été arrêtées depuis le 29 juillet, lendemain du scrutin. M. Türk a demandé la « libération immédiate » de toutes les personnes détenues arbitrairement et un « procès équitable pour tous les détenus ». « Dans un climat de peur, il est impossible de mettre en oeuvre les principes démocratiques et de protéger les droits humains », a ajouté sa porte-parole, Ravina Shamdasani, lors d’un point de presse. De son côté, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a exprimé son espoir d’une « solution démocratique et fondée sur le dialogue à la crise » au Venezuela, après s’être entretenu avec le ministre colombien des Affaires étrangères Luis Gilberto Murillo.

« Crimes de haine ». La suspension de X et la campagne contre les réseaux sociaux sont « une escalade dans le système de censure (…) le gouvernement identifie les réseaux sociaux comme le mécanisme par lequel les gens peuvent obtenir des informations. Cela fait partie de ce chapitre sombre que nous vivons », avait estimé vendredi Giulio Cellini, directeur du cabinet de consultants politiques Logconsultancy. M. Rodriguez a proposé d’intégrer des « éléments liés à l’incitation à la haine sur les réseaux sociaux » dans une loi controversée, largement utilisée contre les opposants, qui punit de jusqu’à vingt ans de prison les « crimes de haine ».

M. Maduro a appelé à une « main de fer et une justice sévère » face à la « violence » et aux « crimes de haine », accusant les deux leaders de l’opposition, Maria Corina Machado et Edmundo Gonzalez Urrutia, d’en être responsables. Il a déjà estimé que les deux dirigeants, qui vivent dans la clandestinité depuis une dizaine de jours, devraient être « en prison ». Dans le même ordre d’idées, le parlement va adopter une « loi contre le fascisme, le néofascisme et les expressions similaires ».

La loi qui avait été demandée par M. Maduro en avril a déjà été approuvée en première lecture mais la deuxième lecture avait été repoussée. Le texte sanctionne la promotion de réunions ou de manifestations faisant « l’apologie du fascisme ». Il propose également l’interdiction des partis politiques et des amendes pouvant aller jusqu’à 100 000 dollars pour les entreprises, les organisations ou les médias qui financent des activités ou diffusent des informations qui « incitent au fascisme ». Mais « pratiquement tout est fascisme » pour le pouvoir, soulignait Ali Daniels, avocat et directeur de l’ONG Access to Justice, à l’AFP en mai.

Javier TOVAR

© Agence France-Presse

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