Qu’est-ce qu’une Direction juridique « éphémère » ? Témoignage de Romain Voillemot, Directeur juridique des JOP Paris 2024.

Qu’est ce qu’une Direction juridique "éphémère" ? Témoignage de Romain Voillemot, Directeur juridique des JOP Paris 2024.

Création de la Direction juridique éphémère.

Romain Voillemont n’est pas un novice en matière de sport ou d’événement sportif puisqu’en 2007, il a été responsable juridique pour la coupe du Monde de Rugby puis, Directeur juridique du PSG pendant neuf ans.

Son profil de juriste atypique correspondait à la philosophie des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 voulue par Tony Estanguet. De plus, il est animé par une espèce d’énergie et de folie nécessaires à la réalisation d’une telle aventure. En effet, l’organisation de Jeux olympiques et Paralympiques (ci-après « JOP ») est d’une toute autre envergure, c’est quelque chose de monstrueux ; notamment dans les chiffres… à savoir environ 13 000 athlètes et 206 nations présentes.

« Il faut être prêt à tordre le droit dans tous les sens pour y arriver ! »



C’est 14 millions de repas servis dans la cantine des athlètes et au global, 576 épreuves… C’est quelque chose d’absolument gigantesque qui fait que c’est unique, spécial et très différent. Comme le dit Romain Voillemont : « Il faut être prêt à tordre le droit dans tous les sens pour y arriver ».

Le témoignage de Romain Voillemot, Directeur juridique des JOP Paris 2024, lors de la conférence au Congrès RDV des Transformations du droit (Replay en fin d’article), interviewé par Olivier Chaduteau (PwC)

Mise en place en juillet 2018, pour une signature des statuts de constitution en décembre 2018, la Direction juridique part quasiment de zéro, tout est à imaginer. Pendant 6 mois, Romain Voillemont est seul à faire face. Ses premières ressources sont arrivées début 2019.

Pour l’aider, le comité international olympique lui a remis un « guide du légal ». Il compile sur 175 pages l’ensemble des missions que le directeur juridique est censé assurer. Ce guide est établi sur des exemples d’autres comités d’organisation (dont celui de Londres, le plus proche de la philosophie voulue pour les JOP Paris 2024).

Il fallait répondre à la politique du Comité international olympique qui souhaite avoir un benchmark de JO en JO et essaye de transmettre des contrats identiques de JO en JO. Et la première difficulté est d’adapter l’ensemble des contrats pour qu’ils correspondent au système juridique français. Un vrai casse-tête…

Il a fallu démontrer au COJO que deux personnes (comme initialement prévu) à la DJ n’étaient pas suffisantes pour assurer juridiquement le bon fonctionnement des JOP et que le service n’était pas un simple département support. In fine, Romain Voillemont a réussi à employer jusqu’à 41 juristes.

Romain Voillemont a réussi à employer jusqu’à 41 juristes !

Pour construire son équipe, il s’est adressé à des juristes avec qui il avait déjà travaillé, puis à des juristes/avocats dont l’univers professionnel correspondait avec la livraison d’un événement tel que les JOP.

Les « conditions » de recrutements de ces juristes (juristes en entreprise et avocats) :

  • être animé par l’envie de vivre une aventure, certes difficile, mais unique et porteuse tant sur le plan professionnel que personnel ;
  • accepter de faire du droit différemment, le plus souvent dans le stress ;
  • accepter pour certains de quitter un emploi pour intégrer l’équipe DJ du COJO ;
  • accepter de travailler pour une durée déterminée (de quelques années à quelques mois) ;
  • disposer d’une expérience et donc d’une certaine séniorité, notamment pour les principaux manager, pour tenir sur la durée et faire face à l’envergure de l’événement.

La plupart du temps, les directions juridiques montent en puissance progressivement au sein d’une entreprise ; pour un tel événement, tout doit être rapide, fulgurant tout en restant solide.

Aussi, la direction juridique du COJO, pour gagner sa course contre le temps, s’est appuyée sur l’expérience de PWC, cabinet d’envergure international spécialisé dans les missions de conseil, d’audit et d’expertise juridique et fiscale et d’un ingénieur travaillant avec ce cabinet. Ensemble, ils ont monitoré toute la trajectoire des contrats qui devaient être faits, et celle des charges, des volumes et des ressources associées. Pour rendre imaginable la masse de travail à livrer, la direction juridique est passée par une matière concrète : les mathématiques. Elle a ainsi fait des calculs, des pondérations, des statistiques et cela l’a beaucoup aidée.

Le fonctionnement choisi par la direction juridique éphémère.

Pour un tel événement, le Comité international olympique (CIO) donne l’obligation de faire 2 800 points de passages dont 400 sur le plan juridique et ce, de la signature du contrat de ville hôte (septembre 2017) à la livraison des JOP (26 juillet 2024). C’est à la fois très contraignant, mais très pratique, cela permet de voir où l’on en est, d’avoir un retour d’expérience et de voir où l’on va.

Le plus gros du travail concerne les contrats de sponsoring. Il faut savoir que les JOP sont financés à 97% par des fonds privés répartis en trois gros blocs :

  • les partenaires pour 1,3 milliard ;
  • la billetterie avec 1,4 milliard de billets à vendre partout dans le monde ;
  • enfin, 1,3 milliard de reversements du CIO sur des droits télévision.

La direction juridique s’est mise en mode « livraison de l’événement ».

Alors que le CIO était dans un schéma de duplication des contrats, la direction juridique, pour pouvoir avancer rapidement, s’est mise en mode livraison de l’événement et a choisi d’externaliser à des cabinets d’avocats certaines de ses missions.

Pour organiser le fonctionnement de la direction juridique en mode Livraison, Romain Voillemot a donc organisé sa direction juridique et ses équipes en 4 grands pôles :

  • Le pôle Revenus centré sur les partenaires, la billetterie et les droits télé.
  • Le pôle Commandes publiques et Droits publics (une spécificité française) : son objectif est de gérer les appels d’offre et l’ensemble des contrats relatifs à l’aménagement des structures existantes (95%), aux infrastructures à construire et de location de stades ;
  • Le pôle Marque : la marque est capitale dans un événement et pour le détenteur de droits d’organisation sportive. Autour de la marque, la direction juridique a créé le secteur informatique, digital, cérémonies, grands événements, propriété intellectuelle.
  • Le pôle Livraison de l’événement : dans ce pôle, on trouve la sécurité, la logistique, les départs, les douanes, les accréditations, la sécurité, les transports, l’hébergement. Tout ce qui permet de mettre des choses dans un stade et/ou à l’extérieur du stade pour « faire marcher le business ».

Face à l’ampleur de la tâche à accomplir, la direction juridique a su très tôt qu’elle ne pourrait pas tout gérer en interne, donc pour les domaines très spécialisés (exemple : domaine artistique, location de bateaux, cérémonie…), elle a choisi d’externaliser, de faire des appels d’offre et de donner des mandats à des cabinets d’avocats.

Les cabinets d’avocats ainsi mandatés agissaient selon leur propre méthodologie, mais la direction juridique leur a fourni au préalable un cahier des charges détaillé et une enveloppe financière précise, ainsi que des modèles de documents et des modèles de contrats.

La direction juridique a gardé en interne une équipe de travail très souple, autonome et sur le terrain, afin de comprendre au plus juste ce qu’elle devait livrer et comment. Une équipe capable de créer des modèles de contrats en peu de temps et de veiller à ce que tous les contrats soient signés le jour J – c’est une exigence du CIO.

Cette souplesse, cette autonomie, cette présence sur le terrain de l’équipe juridique, a permis de mieux gérer la prise de risque et la gestion des risques.

En effet, il faut partir du Droit et identifier les risques, mais après, il y a la façon dont on va exécuter le contrat avec les contraintes financières, les contraintes inhérentes au terrain. Rapidement, il faut pouvoir décider si on peut s’en arranger ou à tout le moins s’il n’y a pas de risque pénal à procéder ainsi.

La direction juridique a dû gérer en interne 2 560 contrats pour 4 926 millions d’achats !

Pour donner une idée de l’ampleur de sa mission, la direction juridique a dû gérer en interne 2 560 contrats pour 4 926 millions d’achats. Et, c’est sans compter les contrats gérés par les cabinets en externe (à titre d’exemple, l’organisation des cérémonies a généré entre 2 000 à 2 500 contrats).

La pression est présente dès le début, et s’accentue en s’approchant de la date du 26 juillet, mais comme l’a dit Romain Voillemot, la philosophie quotidienne de l’équipe juridique était « On va y arriver ! » État d’esprit allié à une nécessaire confiance en ses équipes.

Liquidation et héritage de la direction juridique éphémère.

Créée en 2018, la direction juridique disparaît progressivement. À l’issue des Jeux, il est indiqué dans le contrat de la ville hôte que le COJO a 2 ans pour clore les comptes et tous les litiges.

Mais pour ne pas tout perdre et laisser une trace pour les prochains JO, la direction juridique a réussi à mettre en place une « contrathèque » où un maximum de contrats réalisés pour les JOP ont été enregistrés. La direction juridique aurait voulu mettre en place des outils digitaux, notamment pour aider à la rédaction des contrats, mais du fait de sa non-pérennité, du temps impartis et des coûts financiers engendrés, cela n’a pas été possible.

La contrathèque s’avère essentielle au moment de la liquidation du COJO, car en répertoriant les contrats ainsi créés et signés, parfois 6 ans auparavant, chacun sait où trouver les conditions d’application et de fin pour chacun d’entre eux. À titre d’exemple, concernant les lits des athlètes, il était indiqué dès le début qu’à l’issue des JOP, ils iraient soit dans des prisons, soit dans des foyers !

Cette contrathèque est un socle commun utile et essentiel. La direction juridique, en fermant le 31 décembre 2024, permet ainsi que le liquidateur retrouvera l’intégralité de la base documentaire à un seul endroit.

Autre héritage de cette direction juridique éphémère, la mise en place de modèles, de doctrines dans l’équipe juridique, où les bonnes pratiques étaient systématiquement reprises.

Dernier exemple de ce qu’a permis l’action de la direction juridique, le COJO Paris 2024 est le premier comité à donner ses données au CIO. Jusqu’à présent, chaque comité organisateur « repartait » avec.

Certes, ces juristes, avocats, ont parfois quitté un CDI pour embarquer dans cette direction juridique éphémère ; ils ont dû faire face à une tâche ardue, voire une montagne de difficultés, d’imprévus, mais l’aventure était tellement unique, que tous sont reconnaissants pour cette expérience.

À l’issue d’une telle entreprise, il y a comme une phase de deuil, selon le Directeur juridique… Les juristes en ressortent éreintés, beaucoup font une pause, mais ils ont acquis une expérience unique où ils n’ont pas fait que du Droit et où ils se sont épanouis professionnellement et personnellement.

Pour (ré)écouter l’intégralité de la conférence c’est ici :

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