Les effets emportés par les arrêts du 13 septembre 2023 commencent, 6 mois plus tard, à se faire ressentir. Récemment, des décisions d’appel discordantes ont soulevé une interrogation décisive : un salarié peut-il, devant les juges d’appel, s’appuyer sur cette jurisprudence pour solliciter, pour la première fois, le versement d’une indemnité de congés payés ?
Arrêts du 13 septembre 2023 : créateurs de nouvelles prétentions pour les salariés
Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a franchi la première étape d’une mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne en jugeant, de manière inédite, que la maladie d’un salarié n’était plus un obstacle à la constitution de droits à congés payés.
Pour comprendre l’ampleur des changements découlant de cette série d’arrêts, pensez à consulter notre dossier dédié.
En pratique, ce revirement jurisprudentiel a créé, comme très souvent, une brèche juridique dans laquelle ont tenté de s’engouffrer les salariés d’ores et déjà engagés dans une bataille judiciaire.
Et cela s’est traduit, dans les faits, par la présentation d’une nouvelle demande à hauteur d’appel, celle du versement d’une indemnité compensatrice de congés payés.
Pour autant, nous constatons, au vu des premières décisions rendues par les juridictions d’appel, que deux tendances se dessinent s’agissant de la recevabilité d’une telle demande.
Rappel
Le Code de procédure civile dispose que les parties se retrouvant devant une cour d’appel ne peuvent plus, par principe, soumettre de nouvelles prétentions. Celles-ci seront, le cas échéant, déclarées irrecevables. Néanmoins, des exceptions et réserves existent puisqu’il reste possible :
- d’invoquer des moyens nouveaux, de produire de nouvelles pièces ou de proposer de nouvelles preuves pour justifier les prétentions soumises au premier juge ;
- de soumettre de nouvelles prétentions notamment pour faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ;
- d’ajouter aux prétentions soumises au premier juge des demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Formuler une première demande auprès des juges d’appel : rappel des affaires
Les litiges soumis aux cours d’appel reposaient sur des faits relativement similaires.
Des salariées, placées dans un premier temps en arrêt de travail pour maladie, ont été licenciées pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Suite à la rupture de leur contrat de travail, elles saisissent le juge prud’homal entre 2017 et 2020.
Qu’importe la teneur des décisions rendues par ces premiers juges, un appel est interjeté.
Dès lors, les avocats des salariées sont amenés à transmettre leurs dernières conclusions après la date fatidique du 13 septembre 2023. Naturellement, ils saisissent l’opportunité et introduisent une nouvelle demande relative au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés.
Bon à savoir
Les montants sollicités, corrélés bien évidemment à la durée d’absence de chaque salariée, oscillent entre plus de 6 000 € et plus de 11 000 €.
Formuler une première demande auprès des juges d’appel : solutions
La cour d’appel de Versailles a, dans une décision rendue le 7 février 2024, constaté l’irrecevabilité d’une telle demande.
Dans son argumentaire, la salariée avait mis en avant que cette demande nouvelle :
- était l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de sa demande de rappels de salaires formulée en première instance ;
- ne pouvait être formulée devant les premiers juges en raison de la jurisprudence alors applicable.
Mais les juges ont rétorqué en indiquant que :
- la demande de rappels de salaires portait sur une période antérieure à celle de l’arrêt maladie ;
- la décision de la Cour de cassation ne constituait pas un fait nouveau susceptible de rendre cette demande recevable.
Même son de cloche, une semaine plus tard, du côté de la cour d’appel de Chambéry. A son sens, cette nouvelle demande ne pouvait être admise, faute d’entrer dans l’un des cas de figure prévu par le Code de procédure civile.
Les juges ajoutaient, par ailleurs, que la salariée « aurait pu formuler cette demande dès la première instance » et indiquer que si la Cour de cassation la rejetait [avant le 13 septembre 2023], sa décision était contraire au droit de l’Union européenne.
Cependant, le consensus qui semblait émerger ces deux décisions a été très rapidement rompu. Et pour cause, une voix dissonante s’était exprimée, entre-temps, du côté de la cour d’appel de Toulouse.
Dans une décision du 9 février 2024, ses juges ont, en effet, admis cette nouvelle demande et condamné l’entreprise au paiement d’une indemnité compensatrice. Pour ces derniers, la demande était recevable dans la mesure où :
- elle présentait un lien suffisant avec les demandes initiales puisque les débats s’étaient toujours portés sur les modalités d’exécution du contrat et la dégradation corrélative de l’état de santé de la salariée ;
- elle découlait de la survenance ou de la révélation d’un fait, en l’occurrence l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023.
Cette divergence d’analyses intensifie donc, plus que jamais, le besoin d’un arbitrage.
Cour d’appel de Versailles, 7 février 2024, n°21/03103 et Cour d’appel de Chambéry, 15 février 2024, n° 22/01559 (la demande au titre des congés payés, nouvelle en appel, n’est pas recevable)
Cour d’appel de Toulouse, 9 février 2024, n° 22/02515 (la demande d’une indemnité compensatrice de congés payés est bien fondée et l’intimée sera condamnée à son paiement)
Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot
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