La 22e édition du Festival international du film sur les droits humains (FIFDH), qui a eu lieu du 8 au 17 mars à Genève, a porté cette année au cœur de son programme et de ses discussions la question des violations de droits en Palestine et à Gaza. Ce ne sont pas moins de quatre soirées et une dizaine d’invité·es qui ont abordé les conditions de vie humaine et l’état d’une situation dans les territoires occupés et l’enclave assiégée de Gaza. Au fil des films et des rencontres, le public mesure la force de leurs récits, œuvre collective de mémoire contre la déshumanisation et la destruction en cours.
«L’identité palestinienneest menacée d’effacement» Lina Soualem, réalisatrice franco-palestinienne
Lors de la soirée d’ouverture, Lina Soualem présente son film Bye Bye Tibériade (2024). Une œuvre construite autour des archives familiales sur la mémoire des femmes marquées par la guerre sur plusieurs générations. Pour la réalisatrice franco-palestinienne comme pour les autres, il y a la conscience que l’histoire, la mémoire et l’identité du peuple palestinien sont en péril, menacées d’effacement depuis la Nakba [l’exode forcé de plus de 700’000 Palestinien·nes] de 1948 et l’exil des territoires occupés après juin 1967.
Cette question des «regards et des voix palestiniennes» est adressée à la suite de la projection du film du cinéaste gazaoui Mohamed Jabaly, Life is Beautiful (2023), le 10 mars. Le film retrace son parcours d’apatride forcé à demeurer à l’étranger après la fermeture des frontières de Gaza. Comme lui, nombre d’artistes et de cinéastes palestinien·nes en exil ont fait l’expérience des obstacles et des entraves à leur travail, forcés de quémander des visas, systématiquement éconduits sous de faux prétextes par les autorités israéliennes. La table ronde de ce soir-là produit un moment inattendu de solidarité collective lorsque que la réalisatrice Farah Nablusi (The Teacher, 2024) et le photographe Motaz Azaiza partagent leurs expériences et les traumatismes vécus. Chacun·e des invité·es présent·es a perdu des proches, amis et membres de sa famille, dans le conflit en cours. «Il y a des millions de personnes qui n’ont pas les outils et ne peuvent pas partager leur histoire» commente Motaz Azaiza, dont les photos ont fait le tour du monde.
«L’idée qu’Israël pouvait tenir seul s’est effondrée» Jean-Pierre Filiu, historien
La troisième soirée fut consacrée, le 12 mars, à la projection du film de Mohammed Alatar (Broken, 2018) en présence du producteur zurichois Stefan Ziegler, ancien collaborateur de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Les deux hommes se définissent comme activistes des droits humains autant que producteurs de films. Poursuivant le projet d’amener par le cinéma l’expérience des juges et des experts dans le champ public, en permettant une meilleure prise de connaissance des lois et des exigences en matière d’application du droit humanitaire. Ce film expose de quelle manière la construction depuis 2004 du mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie occupée, condamnée par la Cour internationale de justice, conduit Israël à ignorer ce jugement, accentuant son action de colonisation par la saisie illégale de terres et la mise en œuvre des mesures d’apartheid rendant impossible la solution dite «à deux Etats». Un enjeu traité sous un angle différent par le film du réalisateur israélien Avi Mograbi (The first 54 years – an abbreviated manual for military occupation, 2021), sur lequel nous revenons plus loin.
C’est lors de la discussion de cette soirée, intitulée «Israël-Palestine: quels scénarios pour l’avenir?», que le militant palestinien pour la paix Ali Abu Awwad et l’activiste israélienne May Pundak font entendre avec conviction leur propositions communes pour un retour à la paix. May Pundak, en tant que directrice de l’initiative «A Land for All», défend une «solution à un Etat» fédéral mettant en œuvre un degré de réciprocité et d’égalité entre les deux populations juive et palestinienne. Porteurs d’une parole d’espoir, tous deux prônent une «démarche réaliste» appelant à abandonner les «préjugés et les haines». May Pundak déclare par visioconférence depuis Tel Aviv: «Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit, seule une solution politique.» Et Ali Abu Awwad d’ajouter, vibrant: «Nous devons réaliser que personne ne résoudra cette situation d’autre que nous-mêmes; Israël doit décider s’il occupe les territoires au nom de sa sécurité ou pour des motifs idéologiques.» Il conclut peu après par ces mots: «Il est difficile de rester humain dans la jungle, je veux des partenaires et non plus des ennemis.»
Chaque intervenant·e, lors de ces deux événements, insiste sur l’importance du moment qui est en train de se jouer, marqué par la mort, le péril et la destruction quotidienne du peuple palestinien. L’historien Jean-Pierre Filiu contextualise: «Nous avons tous toléré le blocus qui est un acte de guerre depuis seize ans», avant d’ajouter: «Ce qui s’est effondré, c’est l’idée qu’Israël pouvait tenir seul. Il n’y a que l’Europe qui peut agir, les Etats-Unis sont complètement disqualifiés en matière de processus de paix.»
Qui apportera le droit et qui dira de faire respecter le droit international si longtemps négligé? Alors qu’elle a été reçue aux Etats-Unis et qu’elle doit se rendre au Parlement européen la semaine suivante, May Pundak annonce pour sa part qu’il existe des efforts visant à changer le gouvernement d’extrême droite en Israël. C’est l’une des conditions à la fin de ce cauchemar. Il faut, ajoute-t-elle, articuler une «vision politique» et mettre fin à l’occupation. Il faut penser en termes de «durabilité», assène-t-elle avec aplomb. La liberté d’établissement devrait permettre de transcender les barrières: «Deux Etats avec l’égalité», voilà la solution.
«L’activisme n’est pas bienvenu en Israël» Avi Mograbi, vétéran israélien
Deux jours plus tard, c’est au tour d’Avi Mograbi de présenter The first 54 years, son film composé de témoignages de vétéran·es de l’armée israélienne membres de l’organisation «Breaking the Silence», dont il est l’un des fondateurs. Leurs récits d’archives forment un condensé glaçant des techniques de violence infligées par l’occupant militaire. Ces soldats, parfois très jeunes au moment des faits, relatent dans le calme leurs actions au sein d’un système de déshumanisation méthodique et implacable. Il est question des harcèlements quotidiens des Palestiniens, des brimades, des humiliations, quand il ne s’agit pas d’exécutions encouragées par l’impunité juridique. Autant de preuves de crimes de guerre, documentés bien avant la survenue de l’escalade récente.
Pour le vétéran Mograbi, comme pour nombre d’autres invité·es, tout est affaire de contexte et rien n’a débuté avec le 7 octobre. Lui qui a grandi dans une famille de la droite radicale israélienne a personnellement refusé de servir durant la guerre du Liban en 1982. Il fait depuis longtemps l’objet d’attaques dans son pays pour «antisionisme»; ce qui revient, dit-il, à être assimilé au Hamas. «L’activisme n’est pas bienvenu en Israël, commente-t-il, et nous faisons l’objet de pressions et d’intimidations collectives.» Face aux critiques de ses films, dans la salle et en Israël, il tranche: «L’occupation n’est pas le traumatisme des Israéliens, comme ceux-ci aiment à le penser, mais celui des Palestiniens.»
Si tous les réalisatrices et réalisateurs présents affirment croire aux vertus mobilisatrices du cinéma, Mograbi en tant qu’Israélien interroge: «Nous ne manquons pas de connaissances, mais, d’une façon ou d’une autres, les gens s’arrangent pour regarder ailleurs. Avec un film, vous vous adressez à celles et ceux qui sont déjà convaincus; cela nous renforce, c’est certain, mais est-ce suffisant?»
Le FIFDH constitue à ce titre une caisse de résonance et de dialogue entre divers groupes et collectifs solidaires. A l’issue de cette semaine d’échanges et de discussions, un consensus semblait se dessiner autour de l’idée que le génocide en cours à Gaza ne serait arrêté qu’en parvenant à mobiliser toutes les franges de la population en vue de l’action. Les réalisateur·trices et activistes nous enjoignent à leur manière à continuer à garder espoir sans renoncer à entendre la vérité. Ce que la réalisatrice Farah Nablusi qualifie d’«inversion toujours possible de la déshumanisation». Un appel à l’action dont les photos de Motaz Azaiza se font l’écho: «Je ne suis qu’un outil, dit-il, afin de montrer ce qui se passe et que vous puissiez agir.»
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