Édition : des négociations peu favorables aux autrices

Édition : des négociations peu favorables aux autrices

Entre novembre 2023 et juin 2024, le cabinet Axiales a interrogé, à la demande de la Charte, 19 artistes-autrices dans le cadre d’une étude. Cette dernière avait pour sujet les négociations contractuelles, mais adoptait un angle particulier : il s’agissait d’examiner la manière dont les inégalités de genre pèsent sur cette étape cruciale du processus éditorial.

Parmi la vingtaine d’artistes-autrices interrogées, 14 se déclarent autrices, 9 illustratrices, 3 scénaristes, 2 traductrices, 1 graphiste et 2 coloristes. À partir de toutes les candidatures reçues, une sélection a été réalisée, pour retenir des profils représentatifs et équilibrés. Des entretiens semi-directifs ont suivi, avant un traitement des réponses recueillies.

Des difficultés très présentes

Afin de tirer des enseignements de la variété des réponses reçues, le cabinet Axiales propose une typologie des réactions d’autrices au moment de la négociation, qui « pourra sans doute permettre aux artistes-autrices de se situer et, peut-être, de s’émanciper ».

Les artistes-autrices « redevables », heureuses « de pouvoir réaliser leur activité artistique et de recevoir de l’argent pour cela », généralement proches de leurs éditrices, n’osent pas toujours négocier. Elles ont en effet intégré la précarité comme composante de leur métier, mais aussi de celui d’éditeur… Elles vivent assez mal une situation financière complexe (avec des revenus souvent inférieur à 25.000 € par an), mais ne négocient pas, estimant « ne pas savoir faire » ou ne pas avoir la personnalité adéquate.

Les « précaires qui s’arment », comme leur nom l’indique, sont également confrontées aux difficultés économiques, et se forment en conséquence, ou rejoignent un collectif pour questionner le rapport de dépendance aux éditeurs.

Les « détachées » ne se font plus vraiment d’illusion sur la situation réservée aux artistes-autrices et « n’attendent pas grand-chose de la relation avec leurs éditeur.rices, dont elles sont peu proches ». Elles s’efforcent de faire valoir leurs droits pour chacun de leurs livres, mais disposent d’un autre revenu, parallèle à l’édition, qui leur permet d’atteindre un certain équilibre.

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Enfin, les « professionnelles de la négo » sont chevronnées et très armées, restent à distance de leurs éditeurs et éditrices et revendiquent sans problème leurs droits : « Quand elles appellent pour parler contrat, on leur passe le service juridique », souligne Axiales. Néanmoins, cette lutte de chaque instant est à la fois chronophage et très prenante, mentalement. 

Quels obstacles à la négociation ?

À travers les entretiens, le cabinet Axiales cherchait notamment à identifier les difficultés des artistes-autrices, et en particulier celles causées ou renforcées par les inégalités de genre. Les premiers types d’obstacles dérivent plutôt du contexte éditorial et des a priori sur la littérature jeunesse, où opèrent de nombreuses artistes-autrices.

La faiblesse des taux de droits ou du montant des à-valoir dans ce secteur est en effet connu, et les professionnelles s’interdisent parfois de demander plus, craignant d’exprimer des envies irréalistes. De plus, la littérature jeunesse pâtit de son manque de considération général, qui peut pousser à dévaluer son propre travail.

Mais la BD ne propose pas des perspectives plus réjouissantes, comme le résume Martine, une des interrogées : « La BD, c’est vraiment un métier de crevard pour le coup », souligne-t-elle.

L’étude n’a pas pu, faute de moyens, mettre en parallèle les témoignages des autrices avec ceux d’auteurs, mais des inégalités entre les femmes et les hommes ressortent des expériences des interrogées. 

Pour eux, la négociation c’est autant un enjeu qu’un jeu, ils mesurent très bien les rapports de force. Il m’a fait prendre conscience à quel point on est prises au piège du lien affectif. Moi, j’ai l’impression que c’est éprouvant, je mets une armure, c’est une épreuve, alors que, pour lui, c’est un match de tennis. 

– Sandrine, interrogée dans le cadre de l’étude Axiales

Sans généraliser non plus du côté des auteurs hommes, ces derniers semblent plus enclins à négocier, revendiquant une légitimité que les autrices questionnent régulièrement. Dans de nombreux cas, indique l’étude, les artistes autrices ont intériorisé le stéréotype, avec des attitudes dépréciatives fréquentes qui les amènent à faire passer les intérêts de leurs interlocuteurs avant les leurs.

Bien évidemment, l’isolement des autrices, mises face à un interlocuteur représentant une société, participe à toutes ces difficultés de négociation.

Le règne de l’insécurité

Sur les 19 personnes interrogées dans le cadre de l’enquête, « 9 sont dans des situations très chiches, quand elles ne vivent pas sous le seuil de pauvreté », relève le rapport. Difficile en effet d’aborder l’expérience de l’écriture ou de l’illustration sans évoquer le contexte économique préoccupant des artistes auteurs.

Une des autrices et traductrices ayant répondu à Axiales continue de travailler, bien qu’ayant dépassé l’âge de la retraite, tandis qu’une autre gagne moins de 1000 € par mois et ne doit son salut financier qu’à une maison familiale qui lui évite de devoir payer un loyer. Quatre artistes-autrices vivent chichement, mais s’assument seules, quand sept sont obligées de se reposer sur un conjoint ou une conjointe pour consolider la situation financière du ménage.

Manifestation au Festival de la BD d'Angoulême, en 2020 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Manifestation au Festival de la BD d’Angoulême, en 2020 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

Les paiements différés propres à l’édition ne facilitent pas le quotidien, tandis que les démarches administratives des artistes auteurs sont aussi réputées pour leur complexité. Enfin, certains droits leur sont tout simplement refusés, notamment celui d’un maintien de la rémunération lors des périodes de chômage.

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Forcément, cette insécurité financière permanente pousse à accepter plus facilement des contrats moins avantageux…

Le contrat de confiance ?

Régulièrement, le baromètre des relations entre auteurs et éditeurs, proposé par la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et la Société des gens de lettres (SGDL), rend compte des échanges et du lien entre ces deux maillons indispensables de la chaine du livre. En 2022, 39 % des auteurs interrogés signalaient des « difficultés » avec leurs éditeurs.

L’enquête du cabinet Axiales relève auprès des interrogées une satisfaction globale des relations avec leurs éditrices. Mais celle-ci s’effrite après quelques minutes d’entretien : « [Les autrices] évoqueront, à propos des mêmes personnes, les difficultés à obtenir d’elles des améliorations de leur condition économique et le sentiment de colère et d’impuissance que cela génère. »

L’échange par mail permet, de l’avis de plusieurs autrices, une négociation plus sereine, moins émotionnelle. Cependant, cette étape est souvent écourtée par le sentiment que « la porte est totalement fermée » chez l’interlocuteur. 

Les autrices n’ont pas beaucoup d’arguments à leur disposition, et le manque d’informations sur les ventes de leurs œuvres, un point généralement déploré par les professionnels dans le baromètre des relations auteurs-éditeurs, devient un manque encore plus criant. « C’est difficile de mesurer le poids qu’on a. Chez X, j’avais sûrement un certain poids, mais on ne nous le dit pas, on sait pas où on se situe », résume une autrice interrogée.

Cette carence d’informations sert les intérêts de la partie adverse, et l’intériorisation du stéréotype évoquée plus haut participe aussi à une négociation déséquilibrée. Les autrices imaginent parfois que la rémunération supplémentaire qu’elles ne réclament pas servira d’autres postes de dépense, comme la promotion de leur ouvrage…

Au rayon des sujets qui fâchent, plusieurs autrices pointent des « manipulations grossières » de certaines interlocutrices, quand certaines conditions ou propositions basculent dans l’illégalité. Parmi ces dernières, un achat des versions audio et numériques sans rémunération de l’autrice, une déduction des futurs coûts de mise à jour du livre, l’absence de reddition de comptes ou même le remboursement par les ayant-droits du montant de l’avance déjà payée en cas de décès de l’autrice pendant la création du livre…

Une carence dans la formation des éditrices semble expliquer une partie des situations : « J’ai suivi une formation avec des éditrices, et je me suis rendu compte que le niveau était nul ! Personne n’était formé », témoigne Isabelle Dubois, chargée de la relation aux adhérents à la Charte.

Améliorer la situation

L’étude d’Axiales ne s’arrête pas à cette esquisse des obstacles : elle se penche aussi sur les moyens déployés par les artistes autrices pour les surpasser. Des moments de « prise de conscience » et d’ « empouvoirement » leur permettent de prendre conscience de leurs forces et de la valeur de leur travail, pour le défendre avec plus d’efficacité.

Les succès publics ou critiques, notamment les récompenses, mais également le soutien des proches ou le vécu d’une situation particulièrement abusive peuvent constituer des déclencheurs de ces prises de conscience.

Nuit des auteurs et autrices, le 25 mars 2024 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Nuit des auteurs et autrices, le 25 mars 2024 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

Viennent ensuite les actions, avec quelques bonnes pratiques mises en avant par l’étude. Pour commencer, le contrat doit être considéré comme le « socle de la relation de travail », avant même d’en discuter les conditions. Pour cette étape suivante, s’entourer de spécialistes, s’autoformer ou consulter des outils ressources semble indispensable. En effet, l’argumentation des demandes faites à la partie adverse est un levier décisif.

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Tout ne repose pas sur l’artiste autrice, individuellement : s’appuyer sur le collectif, pour échanger sur les pratiques de tel ou tel éditeur, mais aussi pour faire bouger les lignes sur le métier. Ainsi, et sans trop de surprise, les interrogées réclament-elles un meilleur encadrement de leurs conditions de travail, de la mise en place d’un taux minimum de droits d’auteur à l’émergence d’un statut de l’artiste-auteur, en passant par une plus grande responsabilisation des éditeurs et éditrices.

L’étude complète est consultable ci-dessous.

Photographie : Pancartes déployées lors d’une manifestation « Plume pas mon auteur », au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, en 2017 (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

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