Assassinat de Dominique Bernard : un an après, « aucune initiative n’a été prise pour renforcer la sécurité des professeurs

Assassinat de Dominique Bernard : un an après, « aucune initiative n’a été prise pour renforcer la sécurité des professeurs

Il y a un an, le 13 octobre 2023, Dominique Bernard, professeur de lettres de 57 ans, était assassiné par un ancien élève et terroriste islamiste aux abords de son établissement, le lycée Gambetta, à Arras. Un drame survenu trois ans, presque jour pour jour, après l’attentat visant Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie assassiné pour avoir enseigné la liberté d’expression à ses élèves. Ce dimanche 13 octobre 2024, une cérémonie d’hommage doit se tenir à 11 heures à Arras.

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Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l’Éducation nationale et auteur du livre-enquête Les profs ont peur. École & laïcité : enquête sur le grand renoncement (éditions de l’Observatoire, 2023) revient, pour Le Point, sur ce qui a été fait depuis ce deuxième attentat, et – surtout – ce qu’il reste à faire pour permettre aux professeurs d’enseigner sereinement, et en sécurité. « On assiste à une montée régulière du nombre d’incidents et, corrélativement, de leur peur et leur autocensure », s’alarme-t-il.

Le Point : Dominique Bernard était assassiné le 13 octobre dernier. Un an après, à quoi ce drame a-t-il donné lieu ?

Jean-Pierre Obin : À peu de conséquences sur le plan politique ou institutionnel. Mais il a eu des effets importants sur le moral du personnel de l’Éducation nationale. Le traumatisme lié à l’assassinat de Samuel Paty a été renouvelé par ce drame. Il était encore présent dans l’esprit des enseignants, en particulier lorsqu’ils se trouvaient confrontés à des incidents en classe. Des faits dont on sait qu’ils contribuent de manière importante à leurs appréhensions, leurs craintes et même leurs peurs, en particulier à l’abord de sujets dits « sensibles ». Bien que documentées, ces conséquences demeurent plutôt souterraines et les chiffres de l’Éducation nationale ne reflètent malheureusement pas la réalité du terrain.

D’un point de vue plus politique, ce drame a toutefois donné lieu, il y a quelques mois, à un rapport du Sénat sur les professeurs confrontés à l’extrémisme religieux et notamment les mesures de protection dont ils devraient faire l’objet. Mais la conjoncture récente (élections, dissolution…) et la vacance politique l’ont malheureusement fait passer inaperçu, et je n’ai pas entendu qu’un responsable politique ait pris en compte ses conclusions. Elles le méritent pourtant : un enseignant sur cinq a subi des menaces ou une agression à motivation religieuse ou identitaire au cours de sa carrière, révélait l’Ifop, en mars 2023.

On peut donc dire que rien n’a été fait…

Concrètement, non. Sinon plusieurs déclarations de ministres de l’Éducation nationale en soutien à des personnes agressées et menacées… Certes, les professeurs peuvent bénéficier de la protection juridique, faire éventuellement l’objet d’une protection policière, et des équipes mobiles de sécurité peuvent être déployées dans les académies – comme ce fut le cas à Tourcoing, récemment, où une professeure a été agressée physiquement par une élève pour lui avoir demandé de retirer son voile – mais aucune initiative sérieuse n’a été prise pour renforcer globalement leur sécurité, leur permettre d’enseigner dans des conditions sereines ou être en mesure de faire face aux contestations. À l’exception de la formation sur quatre ans de l’ensemble du personnel de l’Éducation nationale aux principes de la laïcité (issue du plan Blanquer) dont il conviendrait encore de savoir dans quelle mesure elle se déploie, à quel rythme et avec quels effets…

Le nombre d’incidents, quoi qu’il en soit, ne semble pas décroître.

Il semblerait, en effet, qu’on assiste à une montée régulière du nombre d’incidents et, corrélativement, de la peur et de l’autocensure des enseignants. C’était en tout cas ce que démontrait l’Ifop, entre ses enquêtes de 2018 et de 2022. Et je ne vois pas pourquoi cette dynamique aurait changé depuis deux ans. D’autant plus avec le contexte proche-oriental que l’on connaît, lequel exacerbe les tensions, qui s’expriment notamment à l’école.

Le « pas de vague » règne-t-il toujours en maître ?

Le discours institutionnel, à l’époque de Gabriel Attal, a été très ferme sur les consignes à la hiérarchie pour combattre le déni, la pusillanimité ou la complaisance de certains responsables. Mais les ministres se succèdent et l’un affiche sa fermeté, puis un autre son indifférence… On ne peut pas vraiment parler de continuité ! Et il n’y a rien de pire que ces coups de balancier, pour le personnel.

Plusieurs affaires récentes ont néanmoins montré que les enseignants faisant part de menaces ou d’incidents pouvaient bénéficier du soutien de leur hiérarchie. Mais ce soutien a ses limites : on se souvient de l’affaire du lycée Maurice-Ravel à Paris, dont le proviseur avait été menacé de mort pour avoir demandé à une élève, qui l’avait par la suite accusé de violences, de retirer son voile. Le chef d’établissement a dû être exfiltré par le rectorat qui a présenté cet éloignement comme une « démission ». Quant à l’élève, elle est partie sans trop de dégâts. Certes la justice fait son travail, mais elle est lente, la plainte suit toujours son cours. Et cette jeune fille n’a pas eu une réponse immédiate, claire et franche (ni disciplinaire ni pénale) de la République. Pour beaucoup, c’est cette dernière qui a été vaincue dans cette affaire.

Dans le cas le plus récent de Tourcoing, plusieurs confrères ont indiqué que des professeurs auraient soutenu l’élève ayant agressé sa professeure…

Si c’est avéré, c’est bien le signe qu’il reste encore du travail… Quoi qu’il en soit, il existe une part d’enseignants complaisants vis-à-vis de l’expression des religions à l’école, en particulier vis-à-vis de l’islamisme – pour eux, les musulmans étant victimes de discrimination, toute intervention visant à faire respecter la loi est considérée comme « islamophobe ». La profession est loin de partager dans son ensemble la même conviction laïque ! Si, comme l’indiquent les dernières enquêtes postélectorales, les opinions politiques des professeurs se diversifient, il demeure une frange d’extrême gauche, qui n’hésite pas à prendre fait et cause de manière systématique pour les auteurs d’incidents. Souvent de jeunes professeurs, fraîchement sortis de l’université.

Se pose alors la question de leur formation et de leur recrutement.

Exactement. Pour ma part, comme l’était Gabriel Attal et comme le recommande le rapport du Sénat, je suis favorable à la soustraire à l’université, où elle est hors de contrôle, pour la placer sous la tutelle de l’employeur, le ministère de l’Éducation nationale. Ce qui est la norme pour les fonctionnaires des autres ministères.


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