Près de deux ans après l’éclatement du conflit en Ukraine, le constat est clair : le front militaire s’est enlisé. Bruxelles a néanmoins dégainé, quelques jours avant le deuxième anniversaire du déclenchement de l’invasion russe le 24 février, un 13e paquet de sanctions à l’encontre de Moscou. Parmi les objectifs visés, figurent notamment de « restreindre encore l’accès de la Russie à la technologie militaire » et d’« inscrire de nouvelles sociétés et personnes sur la liste de ceux qui participent à l’effort de guerre » russe.
À ce jour, 2.000 personnes ou entreprises figurent sur cette liste, selon la Commission européenne, vendredi. À la clé ? Le gel de près de 30 milliards d’euros d’avoirs privés sur le Vieux continent.
Tout l’enjeu pour l’UE a été de viser, délibérément, des secteurs bien précis, comme les services financiers. Dans cette optique, l’Union européenne avait – notamment – décidé d’exclure la Russie de Swift, un grand système de messagerie financière au monde. Objectif affiché, priver les banques russes de faire des opérations financières rapides et à grande échelle.
Arrêt des importations d’énergie russe…
Sur le plan énergétique, la principale décision a été de couper drastiquement les importations de pétrole et de gaz russe. Très dépendante de l’énergie fossile, l’économie européenne a dans un premier temps souffert de cet arrêt brutal des importations. Notre voisin outre-Rhin s’est révélé très exposé.
«L’Allemagne a été particulièrement vulnérable, car elle comptait beaucoup sur l’énergie bon marché », rappelle l’économiste d’ING, Charlotte de Montpellier.
Résultat, les Etats membres ont été contraints de dénicher de nouvelles sources d’approvisionnement. De son côté, la Russie a certes accusé des pertes sur ses exportations d’hydrocarbures, mais elle a rapidement trouvé des débouchés (Chine, Inde, Turquie, Singapour, Pakistan).
En outre, les pays occidentaux ont continué d’acheter à prix d’or des hydrocarbures russes, via des pays qui raffinaient cette même énergie. D’autres Etats moins scrupuleux comme l’Autriche n’ont pas du tout arrêté leurs importations d’énergie russe. Au contraire, Vienne a même amplifié ses achats d’énergie fossile. Résultat, la Russie a pu bénéficier de recettes d’exportations conséquentes en 2022.
Une application laborieuse des sanctions
En France, le gouvernement avait, au printemps 2022, sommé les entreprises tricolores ayant des activités en Russie de se retirer rapidement. Force est de constater que certaines ont continué de travailler en Russie, à l’image du groupe Mulliez (Auchan, Decathlon, Leroy Merlin). Avant le conflit, plus de 500 filiales françaises dont 35 entreprises du CAC 40 étaient implantées sur le territoire russe, selon Bercy. Interrogés par La Tribune, le Trésor, Tracfin et l’entourage de Bruno Le Maire n’ont pas apporté de chiffres précis sur le bilan à date.
À l’échelle européenne, la mise en œuvre des sanctions est scrutée de près dans les instances de la Commission européenne. « Beaucoup de monde avait en tête au début de la guerre que les sanctions auraient un impact immédiat. Ce n’est pas le cas », confie un fonctionnaire spécialiste du sujet. Et pour cause, tous les Etats membres ne sont pas logés à la même enseigne.
« L’application des sanctions est parfois difficile, concède cette source. « Un pays ne peut pas être seul à appliquer les sanctions de manière stricte. Un Etat comme Malte est plus exposé au contournement des sanctions ».
L’autre obstacle à l’efficacité de tout cet arsenal est que la Russie peut passer par des pays tiers pour outrepasser les mesures occidentales. « La difficulté est que l’Europe ne peut pas obliger ces pays à appliquer ces sanctions ». La Commission européenne a prévu d’envoyer un négociateur pour dialoguer avec ces Etats et tenter d’éviter les failles de contournement. Néanmoins, rien n’oblige ces pays à mettre en œuvre scrupuleusement ces mesures. Enfin, un Etat peut s’exposer à des recours juridiques lors du gel d’avoirs russes.
« Lorsque l’Europe propose de mettre quelqu’un ou une entreprise sur la liste des entités sanctionnées, il faut vraiment beaucoup travailler en amont pour avoir de bonnes preuves afin de se prémunir de tout risque juridique ».
Des contournements par les paradis fiscaux
Ces sanctions ont sans doute permis à l’Europe de mettre la pression sur le régime de Poutine et les milliardaires russes. Les possibilités de contournement restent toutefois nombreuses, notamment via des mécanismes financiers pour placer leurs actifs dans des paradis fiscaux.
« Après avoir été longtemps le pays de l’abolition de la propriété privée, la Russie est devenue le leader mondial des nouveaux oligarques et de la richesse offshore, c’est-à-dire dans des structures opaques au sein des paradis fiscaux », souligne l’économiste, spécialiste des inégalités, Thomas Piketty, dans son ouvrage Capital et Idéologie (éditions du Seuil). Résultat, la part des actifs financiers sur le total détenus dans les paradis fiscaux a atteint des sommets en Russie (50%) contre « seulement » 4% aux Etats-Unis et 10% en Europe.
En France, la justice a pu mettre la main sur quelques yachts et des villas prestigieuses. Mais ces gels représentent finalement une faible part des biens détenus par des oligarques. Il faut ensuite une action en justice pour pouvoir saisir et confisquer ce bien. À la levée des sanctions, le propriétaire peut retrouver son bien s’il s’agit d’un gel des actifs. En outre, ces biens sont parfois détenus par des sociétés écrans implantées dans des Etats peu regardants. Ce qui peut compliquer la tâche de la justice.
[La justice française a pu saisir un yacht dans le port de la Ciotat au printemps 2022. Crédits : Reuters.]
Des sanctions financières aux effets limités à cause de la Chine
Malgré un arsenal de sanctions financières inédit à l’encontre de la Russie, leurs effets ne semblent pas être à la hauteur. « Les sanctions financières elles-mêmes n’ont eu qu’un impact limité sur l’économie russe : le montant des actifs gelés de la Banque centrale de la Fédération de Russie (estimé à près de 300 milliards de dollars) était comparable à l’excédent commercial de la Russie pour 2022 », explique l’économiste et ancien directeur de banque, Vladislav Inozemtsev, dans un récent article de la revue Politique étrangère pour l’IFRI (Institut français des relations internationales).
Sur le plan monétaire, le dollar et l’euro ont pendant longtemps servi comme monnaie de transactions pour le commerce extérieur russe. Mais la Russie s’est désormais tournée vers le yuan comme devise pour échanger avec la Chine. La part du yuan chinois dans les exportations russes a explosé, passant de 0,4% avant le conflit à 34,5%, selon des dernières données communiquées fin janvier par la cheffe de la banque centrale russe, Elvira Nabioullina. Longtemps méfiante à l’égard de la Chine, la Russie a finalement trouvé un allié de taille dans sa volonté de « dédollariser » le système monétaire international (SMI) fondé par les accords de Bretton Woods en 1944.
Une économie russe loin d’être « à genoux »
Lorsque la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine avec fracas, beaucoup d’Etats et de responsables occidentaux prédisaient l’effondrement de l’économie sous l’effet des sanctions et de l’envolée des dépenses militaires. Deux ans après, le marasme annoncé n’a pas vraiment eu lieu. Le Fonds monétaire international (FMI) table sur une croissance du PIB de 2,6% en 2024 après 3% en 2023.
« La production industrielle est en hausse et les prévisions anticipant un épuisement des équipements militaires avant la fin 2022, ou un effondrement de la production pétrolière de 56% en 2023, semblent désormais erronées», souligne Vladislav Inozemtsev.
Des facteurs de résilience et « un capitalisme de guerre »
Comment expliquer une telle résilience ? La Russie occupe, certes, une place relativement faible dans le produit intérieur brut mondial. Mais son rôle est déterminant sur les marchés stratégiques des matières premières, notamment dans l’énergie, les céréales ou les matériaux critiques. « En dépit des restrictions, la Russie a exporté 59 millions de tonnes de céréales entre juillet 2022 et juin 2023, et elle devrait en exporter 61 millions de tonnes à la saison prochaine », poursuit l’économiste.
Sur les produits de haute technologie, la Russie a réussi en partie à s’approvisionner vers la Chine ou par le biais d’importations occidentales non autorisées, via des intermédiaires comme la Turquie. Au plan national enfin, le Kremlin a orienté son économie vers « un capitalisme de guerre ». Cette stratégie est fondée sur une hausse spectaculaire des dépenses militaires, un soutien massif aux industries de défense et une nationalisation des actifs étrangers.
À court terme, l’économie russe devrait donc limiter les dégâts. Mais les perspectives à plus long terme sont plus incertaines aux yeux de plusieurs spécialistes. Les pertes humaines et l’émigration engendrées par la guerre vont incontestablement affaiblir la Russie sur le plan démographique. Ce déclin de la population ne semble cependant pas effrayer Vladimir Poutine, quasiment certain de remporter les élections en mars prochain.
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