Les interviews des acteurs de l’IA juridique : le regard du groupe Lefebvre Dalloz.

Les interviews des acteurs de l’IA juridique : le regard du groupe Lefebvre Dalloz.

Lefebvre Dalloz fait partie du groupe Lefebvre Sarrut, leader européen de l’information juridique et fiscale. Lefebvre Dalloz propose une offre complète qui comprend à la fois de l’édition (donc de l’information juridique), de la formation, du logiciel et des services, et qui aujourd’hui se développe avec les solutions d’intelligence artificielle avec l’offre « GenIA-L » [1].

Village de la Justice : Quelle est dès aujourd’hui l’utilité de l’intelligence artificielle générative, pour les professions du Droit ?

L’IA est déjà utile, avec un gain de temps et un confort appréciés des utilisateurs.

Caroline Sordet : « On peut confirmer, plus de 5 mois après notre lancement de GenIA-L for search, qu’il y a un appétit important pour les solutions utilisant l’intelligence artificielle générative, bien au-delà, je dois dire, de ce qu’on aurait pu imaginer il y a encore quelques mois. Et les premiers utilisateurs décrivent très bien eux-mêmes ce que ça leur apporte. Ils emploient des mots comme confort de recherche, gain de temps : ils cherchent à évaluer les gains de productivité et de pertinence. Donc oui, c’est déjà utile.

Caroline Sordet

Directrice générale des maisons d’édition du groupe Lefebvre Dalloz

Je citerai deux raisons. La première, c’est l’inflation normative. II y a une explosion de la norme en France (et en Europe), que ce soit la loi, la jurisprudence, en réalité le corpus règlementaire d’une façon générale (décrets, circulaires ministérielles, arrêtés, actes et décisions des autorités administratives indépendantes…). II faut bien reconnaitre qu’il y a un stress induit par cet état de fait chez nos lecteurs et utilisateurs : celui de la difficulté d’être constamment à jour et de ne rien rater d’important pour leur pratique et les dossiers dont ils ont la charge.

Le droit est foisonnant et l’inflation normative dont tout le monde parle est une réalité. Il y a des chiffres, j’en cite juste quelques-uns : la loi de finances est, par rapport à il y a 40 ans, 7 lois plus longue. C’est factuel, comparable. Autre exemple, au moment du Covid, il y a eu 7 lois en l’espace de 18 mois. L’actualité accélère aussi énormément les choses. On a parlé du « mur réglementaire » au moment de la crise de 2008. Parlons aussi de l’Open Data, qui est une excellente chose : avoir un droit ouvert et des données disponibles de jurisprudence, c’est cela l’État de droit, donc c’est souhaitable et nécessaire, mais c’est aussi synonyme d’un afflux d’information et de données qu’il faut pouvoir maîtriser et exploiter.

Disposer des sources, accéder facilement aux commentaires et décryptages de nos rédacteurs et auteurs, et pouvoir traiter le volume, c’est la première raison pour laquelle des technologies avancées comme l’IA génératives sont devenues indispensables et cœur de métier pour les maisons d’édition juridique.

La seconde raison que je citerai est qu’il n’y a quasiment plus aucune opération juridique qui soit mono-discipline. On peut citer tous les sujets de conformité, qui exigent de traiter des informations qui relèvent à la fois de la gouvernance, du management, donc au-delà du droit. Et quand on parle d’ESG, on parle dans le même temps de droit de l’environnement, de droit social, de droit des sociétés. Il y a un fort besoin d’apporter des réponses qui soient combinées, qui vont aller mobiliser plusieurs matières. L’IA permet cela. En clair, l’ingénierie juridique évolue, donc la réponse, à la fois éditoriale mais aussi technologique, doit évoluer. »

« L’IA peut apporter un avantage concurrentiel ».

Et donc l’IA participera à transformer les métiers du droit ?

Caroline Sordet : « Parmi les retours depuis le lancement en France de notre offre, retours qui confirment ce que l’on a vu en Espagne, il y a notamment le fait que les utilisateurs perçoivent que l’utilisation de l’IA peut leur apporter un avantage concurrentiel. Mais pour que ceci soit possible, il faut prendre en compte tout ce qu’il y a de transformations induites dans les organisations. A ce titre, l’accompagnement et la formation sont fondamentaux.

L’IA générative a ceci de spécifique qu’elle va générer des contenus à partir d’informations. II faut donc savoir comment ces contenus sont générés et le comprendre, finement. De la même manière que nous l’avons fait chez Lefebvre Dalloz avec nos collaborateurs, nous encourageons donc les professionnels du Droit, nos clients, à se former à l’IA.

Dans notre entreprise, cette formation est graduelle, en commençant par de la formation générique, presque théorique, pour savoir ce qu’est l’IA générative, ce que c’est que l’IA tout court et les différences entre les deux. II faut s’intéresser à la technologie pour mieux l’utiliser.

Ensuite, il y a des formations pratiques indispensables adaptées au métier de chacun. Le mot-clé dans l’IA générative, c’est le prompt. Tant qu’on n’a pas soi-même rédigé un prompt, qui consiste à poser une question à l’IA de la bonne façon, qu’on n’a pas conversé avec l’IA, précisé le prompt, vérifié par soi-même la qualité de la réponse, finalement on ne sait pas comment ça fonctionne et nous ne sommes pas en mesure d’apprécier (au sens d’évaluer) les réponses qui sont données. »

Les juristes sont-ils en danger s’ils ne suivent pas cette voie vers l’IA ?

Caroline Sordet : « Je pense qu’il faut avoir confiance dans l’expertise des juristes. C’est la base de tout. On le voit, quand des technologies nouvelles ou des ruptures arrivent, plus on est sûr de son expertise, plus on est conscient de sa valeur ajoutée, plus on a envie de réduire les tâches à faible valeur ajoutée et plus on est en mesure de saisir les opportunités.

La seconde chose, c’est que l’IA doit rester un outil et un moyen. II y a toujours une étape de relecture et de vérification humaine à la fin. D’une certaine façon, plus il y a de digital et d’IA, plus l’humain prend de la valeur et est nécessaire. Le développement de GenIA-L l’a démontré. Impliquer toutes les équipes, de la DSI, du marketing, et de la R&D mais aussi et même surtout de la Rédaction à la fois en amont avec la qualité des contenus, et en aval sur le contrôle qualité des prompts, tout cela a été déterminant. »

Comment fonctionne votre IA, GenIA-L ?

Caroline Sordet : « À partir d’une question précise, posée, un peu comme dans un moteur de recherche, l’idée est de générer une réponse sous différentes formes, une synthèse, ou une réponse en langage courant, potentiellement assez courte et qui permet notamment de partager dans l’entreprise ou avec tous les utilisateurs du droit (on pense au RGPD par exemple, où à la conformité, qui ne sont pas forcément pratiqués uniquement par les juristes). Ça va permettre aux juristes de faire de la pédagogie, avec leurs clients internes comme externes.

Il y a aussi, et parce que les clients l’ont demandé, le fait de générer une réponse dans un tableau, sur l’apport d’une loi par exemple, réponse adaptée pour tel ou tel public.

On va encore pouvoir mettre en évidence les points de vigilance, c’est-à-dire croiser différents jeux de contenus, en allant chercher dans nos produits éditoriaux tous les contenus de type « à savoir », « point d’attention » et venir les intégrer à la réponse, ce qui permet en un coup d’œil d’avoir les points de vigilance.

Ça va également permettre de préparer un entretien avec un client (je pense aux professions réglementées comme les avocats), pour générer des idées de questions pour explorer le cas avec le client.

Et enfin, nous pouvons mettre en évidence tous les fondements juridiques par rapport à une synthèse, de manière hyper synthétique, se fondant non seulement sur tous les contenus et les informations éditoriales fournies, mais aussi sur les fondements juridiques cités. « 

Faut-il attendre pour se lancer sur l’IA, ou attendre un peu plus de maturité des offres ?

Caroline Sordet : « C’est une vraie question. On a fait l’expérience en développant la solution que rien ne remplace l’apprentissage, c’est-à-dire qu’il faut s’en emparer pour apprendre. Les solutions d’IA générative vont évoluer, gagner en acuité, on va ajouter des services, mais c’est vraiment important de commencer à capitaliser sur une expérience en la matière.

Donc j’invite à ne pas attendre, pour cette raison-là de l’apprentissage continu. »

Un mot sur la notion de « souveraineté » quand on parle d’IA dans un groupe européen ?

Caroline Sordet : « Nous affirmons qu’il vaut mieux avoir des intelligences artificielles qui travaillent sur des jeux d’informations du pays ou au moins européens, pour être conformes et alignés avec nos modes de raisonnement, nos modèles da pensée. « 

Quelle est la spécificité de l’offre de Lefebvre Dalloz ?

Des contenus fiables à proposer, c’est un sujet éthique.

Caroline Sordet : « Notre offre a ceci d’original qu’elle s’appuie sur des données, des informations, des contenus éditoriaux, qui sont rédigés par nos équipes, par nos auteurs et qui sont donc complètement vérifiés et fiables. Ce sont les fondations. Et c’est essentiel de le dire parce que c’est, comme je le disais, un sujet éthique. En tant qu’acteurs de l’information juridique, nous utilisons notre propre jeu de produits éditoriaux et de contenus hyper diversifiés sur lesquels l’IA générative va « tourner », et ce sera fiable, à condition une fois encore de comprendre et d’être conscients des forces et des limites de l’IA.

II faut bien comprendre et réfléchir à ceci : l’IA ne fonctionne que sur les contenus et informations qu’on lui donne ; c’est une technologie qui est basée sur la statistique. Elle a besoin d’un jeu d’informations juste, vérifié, complet aussi, on ne le dit pas assez, parce que s’il lui manque une information pour générer son contenu, elle va automatiquement l’inventer. Donc nous sommes fiers de pouvoir proposer une base éditoriale qui est vraiment complète – avec les spécificités et les forces de trois maisons historiques Francis Lefebvre, Editions législatives avec les dictionnaires permanents et bien sûr Dalloz – ce qui limitera les risques d’hallucination de l’IA.

Cette approche est très importante, parce que la façon dont est conçue l’IA générative va l’inviter à aller dans les interstices de ce qui n’est pas dit, avec le risque de générer des réponses qui ne sont pas fiables, ce qui à notre sens n’est absolument pas acceptable pour les professionnels du droit. De ce point de vue-là, c’est aussi une exigence pour tous les éditeurs. »

Finalement, qu’apporte fondamentalement l’IA aux professionnels du Droit ?

Caroline Sordet : « L’IA apporte ure vraie rapidité de réponse. On est à un stade dans l’histoire de l’information juridique qui fait que nos marchés, nos clients, ont besoin de vitesse, ils ont un temps finalement assez court à consacrer à la recherche d’information, et avec l’IA générative, on fait vraiment un « saut quantique » de ce point de vue. C’est une vraie révolution.

J’aimerais ajouter que nous sommes au début d’une histoire, et que cette histoire s’écrit avec nos clients, nos testeurs, nos équipes pour parvenir à exploiter le maximum des opportunités offertes par l’IA, de façon raisonnée, en étant conscients de l’importance de l’humain dans cette révolution. « 

La raison d’être de editionsefe.fr est de trouver en ligne des communiqués autour de Edition Juridique et les présenter en s’assurant de répondre au mieux aux interrogations des gens. Le site editionsefe.fr vous propose de lire cet article autour du sujet « Edition Juridique ». Cette chronique se veut reproduite du mieux possible. Vous avez la possibilité d’envoyer un message aux coordonnées fournies sur le site dans le but d’indiquer des explications sur ce texte sur le thème « Edition Juridique ». Dans peu de temps, nous publierons d’autres informations pertinentes autour du sujet « Edition Juridique ». Cela dit, visitez régulièrement notre site.