Legal privilege à la française 2023-2024 : 2e tentative de réforme (PPL Vogel – PPL Terlier).

Legal privilege à la française 2023 2024 : 2e tentative de réforme (PPL Vogel – PPL Terlier).

Avancée des travaux parlementaires.

Nous vous le disions à l’instant, deux propositions de loi (PPL) ont été déposées en fin d’année 2023 pour relancer les discussions parlementaires sur le legal privilege « à la française » :

  • une PPL visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, portée notamment par le sénateur Louis Vogel, enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2023 (« PPL Vogel ». Texte initial ici (site du Sénat)) ;
  • une PPL, portée notamment par le député Jean Terlier, relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023 (texte initial ici (site de l’Assemblée nationale)).

Sur le texte voté par la CMP dans le cadre de la LOPMJ (ci-après « CMP LOPMJ », avant censure constitutionnelle), voir Legal privilege à la française 2023-2024 : 1re tentative de réforme (LOPMJ).

Le texte déposé au Sénat a amorcé son cycle d’examen parlementaire.

17/11/23 : la proposition de loi déposée au Sénat (« PPL Vogel ») reprend, à l’identique, les dispositions de feu l’article 49 de la LOPMJ (comme d’ailleurs la PPL déposée à l’Assemblée nationale), en y apportant des compléments.

07/02/24 : examen de la PPL par la Commission des lois du Sénat. 3 amendements [4] ont été proposés par Dominique Vérien, sénatrice et rapporteure, et adoptés. Outre l’insertion d’un article additionnel sur l’entrée en vigueur de la loi [5] et des reformulations d’ordre purement rédactionnel, les changements par rapport à la version initiale de la « PPL Vogel » sont assez importants.

Consultez le rapport de la commission des lois : version intégrale ici (site du Sénat) ; synthèse ici (site du Sénat).

14/02/24 : examen au Sénat en séance publique. 12 amendements sur le texte de la commission ont été déposés. Seuls 4 ont été adoptés [6].

Les amendements non-adoptés concernent principalement 3 sujets :

  • la reconnaissance d’une inopposabilité « de principe » aux autorités administratives nationales (rejetés) ;
  • l’ajout de précision sur la protection des lanceurs d’alerte (rejetés) ;
  • l’extension de la confidentialité aux conseillers en propriété industrielle (amendement retiré) [7].

15/02/24 : texte transmis à l’Assemblée nationale.

1. Conditions de la confidentialité.

1.1. Conditions relatives à l’auteur de la consultation.

1.1.1. Diplôme.

- PPL Vogel, version initiale : juriste d’entreprise ou membre de son équipe placé sous son autorité titulaire d’une maîtrise en droit [nouveau / texte CMP LOPMJ] ou d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger.

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) :

  • rehaussement de la condition de qualification professionnelle (par rapport à la PPL Vogel) avec la suppression de la « maîtrise en droit ». Retour à la condition du master en droit (Bac+5 donc) [8] ;
  • ajout, au sein d’un article 2 de la PPL, de dispositions « transitoires » (pour les « autres » juristes) [9] :
    • « équivalence master », pour les juristes justifiant, à la date d’entrée en vigueur de la loi, d’une maîtrise en droit (Bac+4) et d’au moins 8 ans de pratique professionnelle au sein du service juridique d’une ou de plusieurs entreprises. Le but : ne pas pénaliser les diplômés avant la réforme du LMD ;
    • « présomption de conformité » de la formation, pour les juristes d’entreprise justifiant de l’achèvement de leur formation initiale à la date d’entrée en vigueur de la loi : ils seront considérés comme ayant suivi une formation conforme aux exigences de la loi (celles du référentiel). Le but : éviter des discussions (inutiles) sur une éventuelle différence entre la formation dispensée et le référentiel.

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : extension du bénéfice du legal privilege aux juristes exerçant au sein des administrations publiques (amendement n°12, proposé par Dominique Vérien, Rapporteure).

1.1.2. Formation.

– PPL Vogel, version initiale : pour que la consultation bénéficie de la confidentialité, le juriste devra justifier du « suivi de formations initiale et continue en déontologie », selon référentiel défini par arrêté conjoint du ministre de la Justice et du ministre de l’Économie.

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : suppression de la mention de la déontologie.

Motif : « poursuivre l’objectif de ne pas créer une nouvelle profession réglementée », la notion de déontologie générant une « source de confusion avec les spécificités propres à la profession d’avocat » [10].

Le texte prévoit le « suivi de formations initiale et continue relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques ».

Les précédentes versions de la réforme (CMP LOMPJ et PPL Vogel, version initiale) prévoyaient que les formations devaient être conformes à un référentiel défini par arrêté (Chancellerie et Bercy), « sur proposition d’une commission dont la composition et les modalités de fonctionnement sont définies par décret ». La commission des lois du Sénat, par cohérence avec la suppression de la notion de déontologie et dans le même objectif, supprime la référence à cette commission.

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : les formations initiale et continue relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques sont dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle d’avocats (CRFPA).

Le gouvernement, auteur de l’amendement n°9, invoque les garanties de qualité de l’enseignement dispensé par les CRFPA, qui disposent d’une expertise indéniable dans le domaine de la déontologie, de l’éthique et de l’indépendance.

1.1.3. Emploi et lien de subordination.

– PPL Vogel, version initiale : « juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité »

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : néant

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : néant

1.2. Conditions relatives au destinataire.

– PPL Vogel, version initiale : L’employeur du juriste d’entreprise doit être le destinataire exclusif des consultations.

Le texte précise qu’il s’agit :

  • du représentant légal de l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou son délégataire ;
  • de tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance ;
  • de tout responsable de service opérationnel de l’entreprise employeur [nouveau / texte LOPMJ] ;
  • de toute entité ayant à émettre des avis aux dits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle l’entreprise (au sens de C. com., art. L. 233‑3) ;
  • des organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise (au sens de C. com., art. L. 233‑3).

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : suppression des responsables de service opérationnel [retour au « statu quo ante » / CMP LOPMJ].

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : néant.

1.3. Conditions relatives à l’acte.

1.3.1. Définition de la consultation juridique.

– PPL Vogel, version initiale : deux ajouts par rapport à la version de la CMP LOPMJ :

  • définition de la consultation juridique, identique à celle retenue par les avocats depuis 2011 [11] : « La consultation juridique consiste en une prestation intellectuelle personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d’un avis ou d’un conseil fondé sur l’application d’une règle de droit en vue, notamment, d’une éventuelle prise de décision » ;
  • précision sur les documents concernés : les consultations elles-mêmes, « les documents d’analyse préparatoire de ces consultations et les projets de ces consultations ».

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) :

  • suppression de la définition de la consultation juridique. Motifs : son opportunité dans la loi de 1971 serait « douteuse » et elle pâtirait de « plusieurs défauts » [12] : en l’état, elle limiterait la confidentialité aux seules consultations sollicitées (« sur une question posée »), à l’exclusion de celles fournies d’initiative (rôle d’ »alerte » reconnu aux juristes d’entreprise sur d’éventuels manquements et recommandations de mise en conformité) [13] ;
  • remplacement des « documents préparatoires (…) » par la notion – « plus précise » (et restreinte) – de « versions successives » de la consultation juridique.

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : néant.

1.3.2. Mention de confidentialité et traçabilité.

– PPL Vogel, version initiale : les consultations devront :

  • comporter la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » ;
  • faire, à ce titre, l’objet d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire desdites consultations.

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : néant

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : ajout de l’identification du rédacteur et substitution de la notion de « classement » à celle de « traçabilité » du document (amendement n°11, proposé par la rapporteure).

1.3.3. Sanction de l’apposition inadéquate de la mention de confidentialité.

– PPL Vogel, version initiale : le fait d’apposer frauduleusement la mention de confidentialité est est puni des peines prévues par l’article 441-1 du Code pénal, soit 3 ans d’emprisonnement et 45000 € d’amende.

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : allègement et modification du fondement de la sanction, en l’alignant sur celle déjà prévue par la loi de 1971 pour les consultations juridiques et les actes juridiques sous seing privé réalisés en violation du titre 2 de cette loi, soit 1 an d’emprisonnement et 15000 € d’amende [14].

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : néant.

1.4. Périmètre de l’opposabilité.

– PPL Vogel, version initiale :

  • opposabilité dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative. Conséquence : interdiction des saisies et obligations de remise à un tiers, y compris les autorités administratives, françaises ou étrangères (voir néanmoins infra, contestation et levée de la confidentialité) ;
  • inopposabilité à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient ;
  • inopposabilité dans le cadre d’une procédure pénale et fiscale.

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : modification (rectification) de la formulation procédure pénale OU fiscale [retour au « statu quo ante » (CMP LOPMJ)].

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : ajout de l’inopposabilité de la confidentialité aux autorités de l’Union européenne (amendement n°10, présenté par le gouvernement).

2. Contestation et levée de la confidentialité.

– PPL Vogel, version initiale : dispositions identiques au texte adopté par la CMP dans le cadre de la LOPMJ :

  • en cas de mesure d’instruction dans le cadre d’un litige civil ou commercial :
    • possible saisine du président de la juridiction ayant ordonné une mesure d’instruction,
    • par assignation en référé, dans les 15 jours suivant la mise en œuvre de la mesure d’instruction,
    • aux fins de contestation de la confidentialité alléguée ;
  • en cas de visite administrative :
    • possible saisine du JLD [15] qui a autorisé une opération de visite,
    • par requête motivée de l’autorité administrative, dans les 15 jours suivant la visite,
    • aux fins soit de contestation de la confidentialité alléguée, soit d’ordonner la levée de la confidentialité en cas de soupçon de dissimulation d’un manquement « sanctionnable » [16] ;
  • possibilité pour l’entreprise employeuse de lever la confidentialité à tout moment ;
  • représentation obligatoire par avocat en cas saisine d’un juge ;
  • droit de recours (appel devant le premier président de la cour d’appel, qui a un délai de 3 mois maximum pour statuer).

– Modification(s) de la PPL par la Commission de lois (Sénat) : remaniement important de la procédure de contestation/levée (amendement COM-1. Voir infra), en distinguant deux cas :

  • opposition de l’entreprise à la saisie (litige civil ou commercial / perquisition administrative), avec intervention d’un commissaire de justice et placement sous scellé ;
  • opposition de l’entreprise à la demande de communication de l’autorité administrative.

– Modification(s) du texte de la commission en séance publique (Sénat) : néant.

2.1. Opposition à la saisie

2.1.1. Placement sous scellé par commissaire de justice

Si le représentant de l’entreprise s’oppose à la saisie (litige civil ou commercial / perquisition administrative), le document doit être appréhendé et placé sous scellé par un commissaire de justice (CJ), aux frais de l’entreprise.

Le commissaire de justice est désigné par le juge ayant ordonné la mesure d’instruction ou par l’autorité administrative ayant engagé la procédure.

Les opérations se déroulent en présence des « parties » (représentant de l’entreprise + partie demanderesse ou autorité administrative).

Le document et le PV établi par le CJ sont placés « sans délai » en l’étude du CJ, pour une durée maximale d’un mois.

La « partie adverse » a alors la possibilité d’agir judiciairement pour contester la confidentialité et, le cas échéant, en demander la levée.

2.1.2. Contestation (et levée) judiciaire de la confidentialité après opposition à la saisie

Les conditions de la saisine du juge sont identiques aux précédentes versions de la réforme. Il faut distinguer selon le cadre de la saisie :

  • si elle a eu lieu au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction (litige civil ou commercial) : il est possible de saisir le juge l’ayant ordonné (référé par voie d’assignation) dans les 15 jours pour contester la confidentialité ;
  • si elle a eu lieu dans le cadre d’une procédure administrative : le JLD peut être saisi (requête motivée de l’autorité administrative) dans les 15 jours pour contester la confidentialité et, en cas de soupçon de dissimulation d’un manquement « sanctionnable », faire ordonner sa levée.

La suite de la procédure est la même dans les deux types de procédure (cicle-commerciale/administrative) :

  • le juge notifie au commissaire de justice de transmettre sans délai au greffe les scellés (fermés) et une copie du PV de saisie ;
  • il entend les parties et ouvre les scellés en leur présence ;
  • il dispose d’un délai de 15 jours pour statuer sur la contestation et, le cas échéant, la demande de levée de la confidentialité ;
  • peut adapter la motivation et les modalités de publicité de la décision pour tenir compte des nécessités de la protection de la confidentialité ;
  • s’il est fait droit à la demande, les documents sont versés à la procédure. Dans le cas contraire, les documents doivent être restitués sans délai à l’entreprise.

Si aucune action judiciaire n’est engagée dans les 15 jours de la saisie, l’entreprise peut demander au commissaire de justice de lui restituer les documents placés sous scellé. À défaut de demande de restitution dans un délai d’un mois à compter du placement sous scellé, le commissaire de justice détruit le document et établit un PV de destruction.

2.2. Opposition à la demande de communication

La Commission des lois du Sénat a ajouté des dispositions propres à la demande de communication émanant d’une autorité administrative [17] (hors le cas, donc, des visites et saisies administratives, qui relèvent des dispositions supra).

Le texte adopté par le Sénat aménage une procédure ad hoc, étant rappelé que l’entreprise a bien sûr toujours la possibilité de collaborer pleinement ou de lever à tout moment la confidentialité.

Si l’entreprise oppose la confidentialité à une demande de communication, elle doit le faire :

  • par écrit ;
  • par tout moyen conférant date certaine ;
  • auprès de l’autorité administrative ayant demandé la communication.

Dans un délai de 15 jours à compter de la réception de cette opposition, l’autorité administrative peut saisir le JLD pour contester la confidentialité et, en cas de soupçon de dissimulation d’un manquement « sanctionnable », faire ordonner sa levée.

Elle doit en informer l’entreprise :

  • « sans délai » ;
  • par tout moyen conférant date certaine.

À réception de cette notification, il appartient à l’entreprise de communiquer au juge, « sans délai », le document concerné (ou sa copie).

Après avoir entendu les parties, le JLD dispose d’un délai de 15 jours pour statuer sur la contestation et, le cas échéant, sur la demande de levée de la confidentialité.

Il peut adapter la motivation et les modalités de publicité de la décision pour tenir compte des nécessités de la protection de la confidentialité.

S’il est fait droit à la demande, le document concerné est versé à la procédure en cours.

Sur le cheminement global de la réforme, voir Legal privilege à la française : 100 fois sur le métier, remettez votre ouvrage ?.

La raison d’être de editionsefe.fr est de trouver en ligne des communiqués autour de Edition Juridique et les présenter en s’assurant de répondre au mieux aux interrogations des gens. Le site editionsefe.fr vous propose de lire cet article autour du sujet « Edition Juridique ». Cette chronique se veut reproduite du mieux possible. Vous avez la possibilité d’envoyer un message aux coordonnées fournies sur le site dans le but d’indiquer des explications sur ce texte sur le thème « Edition Juridique ». Dans peu de temps, nous publierons d’autres informations pertinentes autour du sujet « Edition Juridique ». Cela dit, visitez régulièrement notre site.