La reconstruction difficile des victimes de tentatives de féminicides : « J’avais peur de mon ombre

La reconstruction difficile des victimes de tentatives de féminicides : « J’avais peur de mon ombre

Une cicatrice indélébile barre la joue meurtrie de Florence. « Jamais on ne peut oublier, on apprend juste à vivre avec », souffle cette femme de 59 ans, résiliente. Elle se souvient de cette matinée de 2014, où le quotidien banal d’une journée de travail s’est transformé en cauchemar. Un mois s’était écoulé depuis son départ du domicile conjugal, un mois marqué par des menaces incessantes. « Ton fils n’aura plus de maman ! » Ces mots, envoyés par l’homme qui a partagé sa vie pendant vingt ans envahissaient son espace mental. La violence n’était pas nouvelle : « Un dimanche, il était en train de préparer la volaille et avait dit à mon fils : “Un jour, je désosserai ta mère avec !” », se souvient-elle aujourd’hui. Le drame était annoncé.    

Une cicatrice, une vie anéantie 

Ce jour-là, elle le croise par hasard au volant de sa voiture. Quelques minutes plus tard, elle se retrouve sur son lieu de travail seule face à lui. « Très vite, il me prend par les cheveux, me tire en arrière… En l’espace de quelques secondes, il tire un couteau de sa poche » raconte-t-elle, la voix encore tremblante. La lame passe à un millimètre de sa carotide. Lorsqu’elle est retrouvée, elle baigne dans son sang. « Vous les femmes, vous voulez votre liberté et bah regardez ce que cela donne, » s’écrie-t-il froidement, avant de taillader sa joue de la lèvre à l’oreille. « Le fait qu’il ait voulu me défigurer m’a détruite. Son geste portait une volonté de destruction de mon identité. Je suis marquée à vie. »    

La difficile qualification des faits  

En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint, mais les statistiques oublient les survivantes. Comment se reconstruire après avoir échappé au pire ? Avec du recul, Bénédicte qui a aussi vécu ce drame estime qu’elle doit sa guérison à la justice qu’elle qualifie de « bienveillante ». La brillante cheffe d’entreprise avait tout réussi : avec son compagnon, ils formaient le « couple parfait ». Un soir, alors qu’il rentre tard et qu’il est visiblement alcoolisé, il la projette contre les meubles. « Mes enfants, témoins de la scène, l’ont supplié d’arrêter de me rouer de coups », précise-t-elle, encore marquée. Bénédicte, couverte de sang, se rend au commissariat. La police s’exécute : son compagnon est placé en garde à vue, une mesure d’éloignement est ordonnée, et il est déchu provisoirement de son droit parental. Le parcours judiciaire a été pour elle une libération, bien que cette nuit de violence n’ait pu être reconnue par la justice comme une tentative d’homicide.    

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Le début du parcours judiciaire est marqué du sceau de la dissonance cognitive pour celles qui s’entendent dire que ce qui a été vécu comme une tentative de féminicide ne l’est pas aux yeux de la loi. « Juridiquement, il y a une différence entre de simples violences et la tentative de féminicide qui nécessite de prouver l’intention de tuer », leur explique l’avocate Anaïs Defosse. Une réalité juridique qui peut mener à des situations où une femme rouée de coups voit son affaire qualifiée de violences volontaires, modifiant les charges retenues et la peine encourue par l’auteur. Avant d’en arriver là, certaines ont déjà porté plainte ou déposé une main courante.    

Entre attente interminable et lourdeur administrative  

Les procédures judiciaires, réputées longues, laissent des vies en suspens. En parallèle du dossier principal, celles qui ont eu des enfants avec leur agresseur sont confrontées à des procédures devant le juge aux affaires familiales (JAF) pour la garde des enfants. Pour beaucoup, la lenteur des procédures amplifie la souffrance, remettant à demain la guérison. La question du relogement est souvent oubliée, alors que ces survivantes se retrouvent parfois dans l’obligation de retourner sur les lieux où elles ont manqué de perdre la vie. L’avocate souligne : « Une de mes clientes a été victime d’une tentative de féminicide dans le hall de son immeuble à Paris… Nous avons passé plus de trois ans à négocier pour tenter d’obtenir un relogement. » La situation devient plus problématique encore lorsque l’agresseur n’est pas incarcéré et connaît l’adresse de la victime.    

« Derrière une pile de dossiers, il y a des humains »  

« Madame, savez-vous combien coûte la chambre ? », demande un médecin à Florence en fin d’hospitalisation. Elle sera obligée de rentrer chez elle, malgré son souhait d’intégrer une maison de repos. Outre les plaies physiques, il y a les plaies psychologiques. « Je pense au suicide, mais je ne peux pas abandonner mon fils », souffle-t-elle. Elle ajoute : « J’avais peur de mon ombre. » Une rencontre avec une bénévole de l’association Solidarité Femmes lui permettra d’obtenir un logement d’urgence. Florence est alors en arrêt maladie longue durée et touche 600 euros par mois. Maintenue à flot par son fils, elle parvient à payer son avocate difficilement. « Ma relation avec la justice n’a pas été très bonne. Pour elle, nous ne sommes que des numéros… Mais derrière une pile de dossiers, il y a des humains. »  

Le fardeau financier que représente un procès est à prendre en compte. Florence confie avoir dépensé 35 000 euros, épuisant ses indemnisations pour couvrir les honoraires de son avocate, tandis que Bénédicte se rappelle que ses procédures lui ont coûté entre 80 000 et 90 000 euros, une somme qu’elle n’a pu payer que grâce à des revenus importants. En France, une aide de seulement 600 euros est prévue pour les victimes de violences conjugales. L’aide juridictionnelle est peu acceptée par les avocats car elle serait mal rétribuée. Des cabinets peu déontologiques facturent des honoraires exorbitants, ajoutant une pression supplémentaire sur des femmes déjà fragilisées qui s’endettent sur des années. Le cabinet d’Anaïs Defosse fonctionne autrement : selon les dossiers, l’aide juridictionnelle est tantôt acceptée, tantôt il est proposé des conventions d’honoraires incluant la possibilité de se rémunérer grâce aux indemnisations.    

« J’ai réduit au maximum mes dépenses, je n’avais pas les moyens de consulter un psy »  

Alice, 23 ans, est aussi une miraculée qui a renoncé à la thérapie pour ces raisons. Pour faire face aux dépenses, elle demande le soutien de ses parents pour couvrir les 60 000 euros de frais d’avocat, entre autres. « J’ai réduit au maximum mes dépenses… Je n’avais pas les moyens de consulter un psy », explique-t-elle. En vue du procès, elle s’octroie quelques séances pour pallier l’angoisse. Elle ne comprend pas que l’État « finance 150 heures de travail psychologique pour les auteurs de violences, mais ne couvre pas les frais pour les victimes ». Son procès aura lieu après trois ans et demi et lui permettra de « tourner la page » mais pas de se réparer.   

Au sein de l’Unité spécialisée en accompagnement du psychotraumatisme, créée en 2016, et spécialisée dans l’accompagnement des femmes victimes, la psychologue clinicienne Fatima Le Griguer tente de réparer ces destins brisés. La spécialiste estime que sans thérapie, il sera très difficile de faire face aux conséquences physiques et psychologiques. « On parle de troubles dissociatifs, de flashbacks, d’’irritabilité, de tocs, de douleurs corporelles comme d’ulcérations de l’estomac, et des troubles dermatologiques », affirme-t-elle. Elle ajoute que leur « sentiment d’insécurité est permanent ». Dans un objectif de régulation émotionnelle, diverses approches, comme l’EMDR et l’hypnose, sont proposées. En France, on compte seulement 17 centres régionaux du psychotraumatisme où les victimes ont accès à un accompagnement gratuit.    

Des dispositifs de protection insuffisants     

La condamnation de leur bourreau est un bref moment de soulagement. « Le lendemain, elles demandent une projection de la date de sortie, mais c’est difficile de leur fournir une réponse précise en raison des demandes d’aménagement de peine », affirme Anaïs Defosse. Les dispositifs actuels comme le téléphone « grave danger » ou le bracelet antirapprochement sont utiles, mais insuffisants. « Face à des profils inquiétants, il m’est arrivé de leur conseiller de ne plus apparaître sur les réseaux sociaux notamment », explique la pénaliste qui aimerait ne pas en arriver là. En théorie, les victimes sont informées via les dispositifs existants qu’il est sorti de prison, mais il y a déjà eu des failles.    

« Aujourd’hui, je n’envisage plus de vie de couple, mais je pense à construire d’autres types de relations »

Toutes ces femmes ont considérablement changé. La thérapie suivie par Bénédicte lui a sauvé la vie, de son propre aveu, comme l’écriture de son livre et de son spectacle sur sa reconstruction personnelle. Ces épreuves ont affiné sa compréhension de la nature humaine et modifié sa vision des relations : « Aujourd’hui, je n’envisage plus de vie de couple, mais je pense à construire d’autres types de relations, en dehors du cadre du mariage. » Alice, pour sa part, décrit un repli : « Je me suis beaucoup endurcie. » Elle estime avoir moins d’empathie et de patience, et préfère rester seule pour le moment, tout en restant ouverte à l’amour. Enfin, Florence est devenue psychothérapeute et vient en aide aux femmes victimes. La mort de son ancien mari avant le procès l’a d’abord frustré, avant de lui ôter le poids de la peur. Elle garde néanmoins des traces : « Je filtre beaucoup mon entourage et j’ai du mal à faire confiance. »   

Informations supplémentaires :  

– Benedicte Haubold est autrice de « Mes illusions perdues » (éditions préférences). Elle a également écrit SPLASH! un seul en scène, sur sa reconstruction après la tentative de féminicide de son compagnon, sous la direction artistique de Stéphane Fievet.  

– Florence Torollion est l’autrice de « Ma mort dans ses yeux » (éditions Horsain) 

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