La présidente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Siofra O’Leary, dirige une audience au cours de laquelle les juges décident si les États en font assez face au réchauffement climatique, le 9 avril 2024.
Atlantico : La CEDH vient de condamner la Suisse, pour « inaction climatique ». Il a été estimé par les juges que l’action politique du pays est responsable d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale. La CEDH affirme en effet qu’il revient à l’Etat d’assurer une protection effective de ses citoyens contre les effets néfastes graves du changement climatique. Que dire, pour commencer, de cette décision de justice ?
Georges Fenech : La Cour européenne des Droits de l’Homme vient de franchir un nouveau seuil en matière d’immixtion au sein des politiques gouvernementales des Etats membres. Il s’agit là d’une décision purement prétorienne, qui relève indéniablement du fait du prince. Notons d’ailleurs que la Cour européenne des Droits de l’Homme se raccroche aux branches pour en arriver à sa conclusion : elle invoque l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui est entrée en application (rappelons-le) en 1953. A l’époque, le débat sur les risques du changement climatique n’avait pas été abordé. L’invocation de l’article 8 n’est donc rien d’autre qu’un pure artifice juridique, qui n’a jamais visé à répondre à ce cas d’espèce. J’insiste, mais je pense que l’on peut parler d’une jurisprudence prétorienne, teintée d’arbitraire pour condamner la Suisse et, de facto, le peuple suisse souverain.
Nous assistons aujourd’hui à une forme de substitution des juges au pouvoir politique. Plus précisément, on peut parler d’une ingérence certaine dans les affaires politiques des Etats membres par des juges non élus qui appliquent des textes de manière extensive en sachant pertinemment qu’ils n’ont pas été pensés ou rédigés dans ce but. Si la CEDH entend aller au bout de son raisonnement, on attend désormais qu’elle condamne les Etats pour leur inaction dans la lutte contre les flux migratoires, l’inaction pour que chacun ait un logement ou l’inaction en matière sécuritaire, par exemple. Quid, aussi, de l’inaction sanitaire ou pédagogique ? Allons au bout de la logique : avec une telle position, on peut tout à fait imaginer que la CEDH commence à revoir la copie de chaque gouvernement, qu’elle juge de la politique gouvernementale dans son ensemble.
La CEDH, de mon point de vue, ne se grandit pas à vouloir se substituer au gouvernement souverain. Quelle est leur légitimité ? Aujourd’hui, on observe une certaine forme d’euphorie dans les milieux écologistes les plus militants. Pourtant, j’ai tendance à penser que c’est une victoire à la Pyrrhus. Et pour cause ! Il faut s’interroger sur les conséquences d’une telle décision. L’arrêt condamne la Suisse à 80 000 euros d’amende. Imaginez ! 80 000 euros d’amende. De quoi faire trembler un État. Non, nous faisons aujourd’hui face à un arrêt purement déclamatoire, sans aucune conséquence juridique ou politique. C’est une décision qui ne se donne pas les moyens d’argumenter sérieusement sa logique scientifique. Elle se base uniquement sur les rapports du GIEC, sans débat contradictoire, et se contente de reprocher à la Suisse de ne pas avoir de budget carbone. Selon les juges, nos voisins helvètes n’ont pas non plus de méthode de quantification des émissions de gaz à effet de serre, ni même de mécanisme de suivi.
Rappelons, pourtant, que chaque Etat fait ce qu’il peut comme il le peut. Il n’a de compte à rendre, sur le plan politique, qu’à son propre peuple. Il n’est certainement pas tenu de le faire à une instance, qui plus est judiciaire.
En définitive, l’arrêt de la CEDH est un vœu pieu, profondément idéologique, attentatoire à la souveraineté des Etats. C’est d’ailleurs loin d’être la première fois, quand bien même elle s’illustre de façon assez spectaculaire. Rappelons-nous, en 2023, quand la CEDH avait décidé de créer une forme d’immunité humanitaire, un devoir de solidarité d’aider les migrants à passer les frontières. Nous ne devons pas ignorer la tentation des juges à écrire, en réalité, la loi des Etats membres.
Philippe Charlez : Si l’annonce avait été faite une semaine plus tôt on aurait pu croire à un poisson d’avril.
En condamnant la Suisse pour « violation de la Convention européenne des droits de l’homme » et « manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique » la CEDH se couvre de ridicule au mépris des données et de la réalité des faits. Avant de prononcer leur verdict, les juges auraient dû consulter quelques bases de données sérieuses. On peut hélas deviner en filigrane que ces magistrats n’ont aucune compétence scientifique et, comme la plupart des politiques et des économistes, ne font pas la différence entre le mégawatt et le mégawattheure.
Pour information, la Confédération Helvétique a émis en 2022 44,6t CO2 territorial soit 0,1% des émissions mondiales. En termes d’émissions individuelles, le Suisse est champion toutes catégories avec moins de 5t CO2 émises annuellement contre six pour le français et dix pour l’allemand. La Suisse a un des mix énergétiques les plus décarbonés de l’OCDE (47% de fossiles contre 77% en moyenne pour l’OCDE). Avec 55% d’hydraulique, 35% de nucléaire et 7,2% d’ENR son mix électrique est pratiquement décarboné à 100%.
2Dans quelle mesure revient-il à des juges non élus de décider de l’action politique d’un Etat ? Quelle est la légitimité de la CEDH quand il s’agit de sanctionner (et donc, fondamentalement, de décider) de la ligne qu’un exécutif doit mener ?
Georges Fenech : Je ne vois pas où serait la légitimité des magistrats qui, vous avez raison, n’ont jamais été élus. Ils sont nommés sur proposition des gouvernements mais n’ont aucune légitimité issue du suffrage universel, le seul qui permet de légitimer une politique gouvernementale. Notons toutefois que cette tentation à la judiciarisation se retrouve aussi dans nos tribunaux internes, que ce soit du côté des juges, des magistrats de l’ordre judiciaire ou même au Conseil d’Etat. Nous avons été habitués à interpréter la loi extensivement alors qu’en réalité, ils fabriquent eux-même la loi, quand ils n’écartent pas celles qui les dérangent. L’exemple de la loi immigration, à cet égard, est particulièrement parlant. N’oublions pas comment elle a été censurée sur une appréciation purement idéologique.
D’aucuns évoqueront peut-être les traités des accords de Paris sur le climat. C’est vrai, mais encore une fois, il ne faut pas oublier que chaque pays fait ce qu’il peut, ce qu’il doit faire en fonction de ses moyens. Notons également que la France, comme la Suisse d’ailleurs, représente un pourcentage minime des émissions de gaz à effet de serre dans le monde ; particulièrement comparativement avec la Chine ou les Etats-Unis. A cet égard, il me semble évident que l’Europe s’inscrit dans une espèce d’auto-flagellation pour mieux se montrer en exemple au monde entier.
La Suisse est souvent dépeinte comme une mauvaise élève en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Sa population disposant d’un fort pouvoir d’achat, elle mène un train de vie potentiellement polluant et consomme globalement trois fois plus que le reste de la moyenne européenne. Pour autant, sur le plan des émissions directes elle s’en sort beaucoup mieux. Que dire, dès lors de la réalité de l’impact de la pollution suisse ?
Philippe Charlez : Une fois encore j’invite les magistrats de la CEDH à analyser sérieusement les données plutôt que de statuer sur des aprioris idéologiques. Si le Suisse bénéficie de l’un des revenus les plus élevés au monde (85 000$/hab soit le double du français), il fait aussi preuve d’une étonnante sobriété énergétique en ne consommant que 33 MWh. Cette valeur est à comparer aux 37 MWh de l’UE, aux 57 MWh de l’OCDE et aux 80 MWh des Etats-Unis. Contrairement aux allégations de certains, la Suisse ne mène pas un train de vie potentiellement polluant et consomme globalement moins que la moyenne européenne. Les magistrats du CDEH ont probablement confondu la Confédération Helvétique avec les Etats-Unis ou les Emirats Arabe Unis.
La Suisse n’est pas seulement une tête de classe en termes d’émissions de GES et de consommation énergétique. Elle est aussi l’un des pays les plus démocratiques (la démocratie directe y est appliquée avec succès depuis des siècles), les moins corrompus (4ème place) et les moins endettés du monde (dette de rêve égale à 15% du PIB – 115% pour la France). Elle devrait servir d’exemple imparable au CEDH pour mettre au pilori tous les autres pays de la planète. Ce n’est pas une grande nouvelle : on a toujours jalousé mais aussi détesté les premiers de classe.
On peut donc se questionner sur les véritables motivations de ce collectif soi-disant composé de 2500 gentilles mamies de 75 ans et plus. Sont-elles vraiment indépendantes ? Qui opère derrière KlimaSeniorinnen Schweiz ? La démarche est étonnamment proche de l’Affaire du siècle, initiée par quatre ONG d’extrême gauche (Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France) en décembre 2018. Elle visait à poursuivre la France en justice pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Une pétition lancée par les requérants avait collecté deux millions de signatures en un mois. J’avais à l’époque démonté dans un article la démarche très similaire à celle qui vise aujourd’hui la Confédération Helvétique. La France avait pourtant été condamnée pour faute climatique le tribunal considérant que « l’État n’ayant pas respecté ses engagements et termes de réduction des gaz à effet de serre avait donc commis une faute responsable […] d’une partie du préjudice écologique constaté ».
Je serais donc intéressé d’en savoir davantage sur la composition du comité directeur de ce collectif de mamies inoffensives mais aussi sur ses sources de financement.
Existe-t-il un consensus scientifique sur la ligne politique à tenir pour permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre, une méthode universelle que l’on pourrait appliquer à chaque pays et qui fonctionnerait sans faute ? Au regard de ces éléments, peut-on estimer que la sanction décidée par la CEDH fait sens ?
Philippe Charlez :S’il existait une « méthode universelle fonctionnant sans faute » pour réduire les émissions de GES ces dernières auraient drastiquement diminué depuis la COP21 qui s’est tenue voici plus de 8 ans. Au lieu de s’attaquer à des proies faciles comme la Suisse, le CEDH devrait plutôt essayer de comprendre pourquoi les émissions mondiales ne baissent pas malgré les bonnes volontés, des normes de plus en plus sévères et des investissements pharaoniques notamment dans les énergies renouvelables, pourquoi la décarbonation est en panne et la consommation mondiale de combustibles fossiles bat des records d’année en année. Peut être qu’en regardant du côté des émergents comme la Chine ou l’Inde son verdict aurait été différent.
Quoi qu’il en soit cette décision fera à coup sûr jurisprudence.
La décision du CEDH devrait donner des idées aux ONG pour multiplier ce type de collectifs fantasques. Des ONG dont le but premier n’est en rien de solutionner la problématique climatique mais de mettre à bas la société de croissance et son démon capitaliste. Pendant ce temps les émissions continuent de s’accroitre et la terre de se réchauffer.
Dans quelle mesure peut-on dire des juges de la CEDH qu’ils prennent en compte les multiples contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les gouvernements ? Privilégier une solution écologique, par exemple, implique de potentiels sacrifices industriels ou sur le plan de l’emploi. Ont-ils conscience de la réalité de ces équilibrages ?
Georges Fenech : Bien sûr que non, ils n’en ont pas conscience. Ils ne peuvent pas avoir la même expérience de la responsabilité qu’un gouvernement, à qui il revient de mener des politiques publiques assurant les besoins des citoyens sur le plan énergétique tout en cherchant à organiser sa transition de façon aussi douce que faire se peut. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le risque d’empêcher les ménages de se chauffer, de se déplacer ou de sacrifier les emplois de nos concitoyens. Malheureusement, rien de tout cela n’entre dans les préoccupations des juges, dont ce n’est de toute façon pas le rôle. Il ne leur revient pas, en effet, d’apprécier les politiques publiques des Etats membres. Ils n’ont, pour cela, aucune légitimité.
J’ai d’ailleurs tendance à penser qu’il faudra tôt ou tard renégocier notre signature à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui a été utilisée pour nous condamner de façon illégitime à plus d’une reprise en matière de politique migratoire. Il ne s’agit pas de s’y soustraire dans l’absolu, mais il est essentiel de renégocier un certain nombre de ses dispositions, tout ou partie de son rôle et de son mode de fonctionnement. Nous ne pouvons malheureusement pas espérer des juges de la CEDH qu’ils prennent conscience de la réalité de la situation. La CEDH, rappelons-le, est souveraine et s’impose en dernier ressort aux Etats membres. Mais jusqu’à quand ? Je pense qu’un certain nombre des pays de l’Union finiront pas ne plus supporter d’être ainsi stigmatisés, alors qu’ils mènent des politiques difficiles, dans des contextes internationaux difficiles.
Cette décision constitue-t-elle un déni de démocratie ?
Georges Fenech : C’est une atteinte, effectivement, à la souveraineté des Etats membres ; à la manière dont ils mènent leur politique publique. Il y a donc, de ce fait, une atteinte à la démocratie qui est, je le rappelle, l’expression du suffrage universel.
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