Entendre de la bouche d’un professionnel de santé qu’on est aidant permet bien souvent de se sentir légitime et reconnu.

Entendre de la bouche d’un professionnel de santé qu’on est aidant permet bien souvent de se sentir légitime et reconnu.

Spécialiste en santé publique et experte sur la question des aidants, la Dre Hélène Rossinot, a publié plusieurs ouvrages sur ce thème. Cette fois-ci, avec « Prendre soin des aidants. Le premier mode d’emploi pour les professionnels de santé et de l’accompagnement » (Ed. Vuibert, octobre 2024) [1], elle s’adresse aux soignants. Medscape édition Française s’est entretenue avec elle à l’occasion de la journée nationale consacrée aux aidants, ce 6 octobre, dont le thème 2024 est « L’auto-reconnaissance des aidants ».

Les aidants subissent de plein fouet les failles d’un système de santé en crise.

Medscape édition Française :Le dernier rapport de la Haute Autorité de Santé sur le répit (2024) [2] illustre l’ambivalence du terme d’aidant. L’institution indique notamment qu’il faut « avoir conscience qu’il existe des aidants difficilement repérables  ». Qu’est-ce qu’un aidant ?

Dre Hélène Rossinot : 11 millions de français prennent soin d’un de leurs proches âgé, malade ou handicapé. Outre ceux qui soutiennent un proche atteint d’une maladie neurovégétative, d’un handicap, ou tout simplement âgé, les aidants qui s’occupent d’un proche atteint d’une maladie chronique existent bien, même si leur statut n’est pas défini légalement. Sur le site de certains ministères, on les mentionne, mais les définitions juridiques ne les intègrent pas clairement. La définition « officielle » désigne quelqu’un qui aide régulièrement un proche malade, âgé ou handicapé. C’est flou. Les termes « âgé » et « handicapé » sont clairs, mais « malade » est plus complexe, ainsi que l’expression « aider régulièrement », également sujette à interprétation. En résumé, c’est une notion vague, laissée à l’appréciation de chacun. Ce qui me semble central, c’est l’impact que cela a sur la personne aidante. On ne doit pas avoir de préjugés liés à l’âge, au genre ou à la pathologie. En fonction des capacités de chacun, de leur forme physique, de leur situation sociale, ou de l’organisation familiale, des situations très différentes peuvent surgir, même si la pathologie est similaire. Il ne faut pas oublier qu’il existe aussi des enfants aidants, comme des personnes très âgées. Le terme « aidant » fait souvent penser à la maladie d’Alzheimer et aux personnes âgées. Mais cela ne représente qu’une partie de la réalité : il existe aussi des parents d’enfants handicapés ou des conjoints face à des maladies chroniques.

J’ai appris très tôt à ne pas juger la gravité d’une situation de l’aidant en fonction de la seule pathologie de l’aidé.

La difficulté de ce que vit l’aidant dépend-il de la gravité de la pathologie ?

Dre Hélène Rossinot : Lors de mes recherches pour ma thèse de médecine sur le sujet des aidants, après avoir vu trois personnes en fin de vie, j’ai commis l’erreur de hiérarchiser dans ma tête la gravité des maladies : j’ai pensé que l’aidante que je verrais ensuite, épouse d’un patient atteint de diabète serait forcément en meilleure forme. Mais cette femme était en réalité celle qui souffrait le plus. Non seulement son mari ne prenait pas sa maladie au sérieux, mais ses deux adolescents la rendaient responsable de l’aggravation du diabète de leur père. Cette situation était infernale pour elle. Elle était au centre de la gestion de la pathologie, mais ne recevait aucun soutien. Les professionnels de santé avaient tous le même réflexe : ils se focalisaient sur le mari, sans se soucier d’elle. Cela m’a appris très tôt à ne pas juger la gravité d’une situation de l’aidant en fonction de la seule pathologie de l’aidé.

Mon impression est que de plus en plus de médecins et de professionnels de santé, en général, s’intéressent à la question des aidants

Le collectif « Je t’aide » a récemment publié son baromètre, révélant qu’un aidant sur trois ne se reconnaît toujours pas comme tel [3] . Prendre conscience de ce rôle et l’accepter reste difficile. Mais pensez-vous que ces dernières années les aidants sont moins invisibles aux yeux des professionnels de santé ?

Dre Hélène Rossinot : Je constate une amélioration, bien que tout ne soit pas encore parfait. Il y a très peu de chiffres à ce sujet, mais mon impression est que de plus en plus de médecins et de professionnels de santé, en général, s’intéressent à la question. Ils me contactent davantage pour poser des questions. Je remarque aussi de plus en plus de publications sur ce thème dans des spécialités qui étaient moins concernées auparavant. Au-delà des neurologues et gériatres, des cardiologues ou encore des pneumologues s’y intéressent et publient. Cela n’existait pas vraiment il y a cinq ans. On observe un début de prise de conscience chez les professionnels.

Entendre de la bouche d’un professionnel de santé qu’on est aidant permet bien souvent de se sentir légitime et reconnu

Quel rôle doivent endosser les médecins ?

Dre Hélène Rossinot : Ils peuvent aider à l’auto-reconnaissance de l’aidant. Certains aidants vont se reconnaître presque immédiatement comme tels, car ils connaissent le terme et ont fait le chemin nécessaire pour accepter ce terme. En revanche, ce processus est parfois plus compliqué. Certains ne connaissent tout simplement pas le mot. Ensuite, il y a une autre catégorie d’aidants qui connaissent bien ce terme, mais qui refusent de l’appliquer à eux-mêmes : certains pensent qu’ils n’en font pas assez pour mériter ce titre, ce que j’appelle le « syndrome de l’imposteur de l’aidant ». D’autres estiment que ce qu’ils font est simplement normal. Ceux-là peuvent même être offensés par l’idée qu’on les qualifie d’aidants, un rôle inconcevable, répondant qu’ils sont simplement l’épouse, la mère, le fils… Les médecins ont un réel pouvoir dans ces deux situations. L’argument d’autorité s’avère efficace, notamment face au syndrome de l’imposteur. Entendre de la bouche d’un professionnel de santé qu’on est aidant permet souvent de se sentir légitime, reconnu.

En quoi est-ce important ?

Dre Hélène Rossinot : Un point essentiel dans ce processus est la prise de conscience, puis l’acceptation de ce rôle d’aidant. Si le médecin intervient rapidement en déstigmatisant cette notion ainsi que celle de répit, cela aide grandement à normaliser la situation, à réduire la culpabilité associée, et à faire que l’aidant se tourne vers les aides extérieures. Cependant, il faut éviter de tomber dans le piège du discours moralisateur. Dire à un aidant qu’il « devrait » ou « qu’il serait bien » qu’il prenne du temps pour lui peut se révéler contre-productif. Les aidants le savent déjà mais souvent, ils n’y parviennent pas. Un discours de ce genre sans offrir de solution concrète ne les aide pas. C’est pourquoi le rôle du médecin est d’accompagner ce processus en proposant de l’écoute et des solutions pratiques, au lieu de conseils généraux.

Idéalement, les médecins devraient avoir connaissance de quelques ressources clés.

Quelle est l’attitude qu’ils doivent adopter lorsqu’ils perçoivent une souffrance, un épuisement, ou même en prévention d’une éventuelle dégradation de l’état de l’aidant ?

Dre Hélène Rossinot : En étant à l’écoute, ils peuvent percevoir l’étendue de la détresse et orienter vers des solutions adaptées, même de manière simple. Toutefois, leur rôle n’est pas ceux des assistants sociaux. Idéalement, les médecins devraient avoir connaissance de quelques ressources clés (collectif « Je t’aide » [4], « Avec nos proches » [5], plateformes d’accompagnement et de répit [6]…). Avoir une mini fiche à portée de main sur des ressources territoriales peut déjà faire une grande différence pour l’aidant. Les conseils sur la santé de l’aidant doivent être accompagnés de pistes réalistes pour les appliquer.

Il est important pour le médecin de prendre un moment, même deux ou trois minutes, pour parler à l’aidant en tête-à-tête.

D’ailleurs, le médecin du patient doit-il être celui de l’aidant ?

Dre Hélène Rossinot : Ce sujet divise, et la situation n’est pas toujours facile à gérer, notamment lorsque l’aidant et le patient se trouvent ensemble dans le cabinet. Cependant, beaucoup d’aidants, surtout quand ils sont épuisés, ne voient aucun autre professionnel de santé que ceux qui suivent leur proche. Je pense donc que les aidants doivent percevoir le médecin comme une ressource pour eux également. Cela ne signifie pas que le médecin doit réaliser une évaluation complète. C’est irréalisable dans le temps imparti. Cependant, il est important de prendre un moment, même deux ou trois minutes, pour parler à l’aidant en tête-à-tête. Cela permet une « micro-identification » : poser quelques questions simples comme « Connaissez-vous le terme aidant ? », « Avez-vous du soutien ? » ou « Êtes-vous suivi ? ». Le défi est de les « rattraper » avant qu’ils ne soient trop épuisés. Et je ne parle même pas de prévention ! En général, un aidant qui se trouve en consultation est présent soit pour accompagner un patient, soit parce qu’il est déjà lui-même épuisé, voire malade. Lorsque l’aidant consulte en tant que patient, le temps accordé est plus long, mais il est aussi plus difficile de les sortir de cet état d’épuisement. L’idée serait donc d’intervenir le plus possible quand l’aidant est encore en mesure de prendre soin de lui. C’est une « fenêtre de tir » pour introduire le terme « aidant » et les orienter vers le système de santé avant que l’épuisement ne prenne le dessus.

Il arrive que les aidants ressentent un sentiment d’instrumentalisation vis-à-vis des professionnels de santé. Ils se voient souvent assigner des tâches – organiser les soins, informer sur l’état du patient – ce qui peut créer une relation déséquilibrée et détériorer la qualité des interactions entre les aidants et les soignants ?

Dre Hélène Rossinot : Ce sentiment est compréhensible et d’ailleurs, beaucoup de professionnels de santé en sont conscients. Ils se retrouvent parfois dans une position délicate : ils souhaitent soutenir l’aidant, mais sont contraints de lui donner une « to do list », car le système de santé repose en partie sur l’implication des aidants. Trouver un équilibre entre ce besoin et le fait de ne pas les surcharger est une difficulté à laquelle de nombreux professionnels sont confrontés. Parfois, par commodité, les aidants sont sollicités pour prendre en charge certaines responsabilités, alors que d’autres solutions pourraient être envisagées. Il faut donc rechercher des alternatives ou mieux répartir les rôles pour éviter que l’aidant ne se sente uniquement perçu comme un exécutant, ce qui risquerait d’aggraver son épuisement et de nuire à sa relation avec les soignants.

Comment faire dans la relation pour éviter que les aidants ne se sentent instrumentalisés ?

Dre Hélène Rossinot : Revoir à la fois la forme et le fond des interactions avec eux. Il ne faut pas présumer qu’un aidant pourra tout gérer simplement parce qu’il est physiquement présent lors d’un rendez-vous ou d’un retour à domicile. C’est une erreur courante : on décide trop rapidement d’un retour à domicile sans s’assurer que l’aidant sera disponible ou en mesure d’assumer toutes les responsabilités. Il est donc nécessaire de sortir du réflexe « il y a un aidant, tout ira bien ». Il faut discuter avec lui pour comprendre ses limites, ses possibilités réelles et prévoir des solutions alternatives si besoin. Cette approche permettra non seulement de mieux évaluer la situation, mais aussi de renforcer la relation soignant-aidant. L’aidant doit se sentir respecté dans son rôle. J’en profite pour glisser que les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) sont des ressources territoriales extrêmement précieuses pour gérer les situations complexes. Et sous-utilisées ! Elles offrent une aide indispensable aux professionnels de santé qui n’ont ni le temps ni les moyens de trouver des solutions par eux-mêmes, et permettent une meilleure coordination des soins à domicile.

Pensez-vous, comme certains, qu’encore plus depuis la Covid-19, les aidants sont la variable d’ajustement de l’insuffisance de nos politiques de santé ?

Dre Hélène Rossinot : 100 % d’accord, même si je ne mettrais pas tout sur le dos de la pandémie. Depuis des années, on tente de colmater les failles du système par des mesures isolées, sans refonte globale. Le Covid-19 n’a fait qu’exacerber cette déconnexion entre le grand public et les professionnels de santé. Les aidants se retrouvent souvent en première ligne, palliant les manques d’un système trop compartimenté. Pour véritablement améliorer la situation des aidants, repenser entièrement le système de santé est inévitable et, surtout, la relation entre l’hôpital et le domicile, deux univers qui évoluent indépendamment, avec parfois des redondances inutiles. Les incohérences ne se comptent plus. Cela crée une surcharge pour les aidants. Tant que l’on n’abordera pas la question du financement et la gestion des soins à domicile, la coordination de l’ensemble des acteurs impliqués (hôpital, domicile, aidants, services sociaux), la situation restera bloquée. L’attractivité du domicile pour les professionnels de santé s’en ressent. Cela crée une véritable démotivation et un sentiment d’impuissance. Et les aidants, eux, subissent de plein fouet les failles d’un système de santé en crise.

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