Joigny, c’est, « The place to be », s’exclame Camille, au volant de sa Peugeot dans les ruelles médiévales de la ville. Difficile, pourtant, de voir dans cette paisible commune de l’Yonne (89), avec son marché du mercredi et son gastro La Côte Saint-Jacques, deux étoiles au Michelin, le lieu de tous les possibles. Même si le père Matthieu, le curé de la paroisse, s’était fait connaître sur TikTok en devenant une star catho au 1,2 million d’abonnés, avant d’arrêter brutalement sa carrière de prêtre-influenceur.
Mais la jeune femme n’en démord pas : « En habitant à Joigny, je sais que j’ai, paradoxalement, un pied dans le futur. » Car c’est ici, près de Villecien, que se dresse le château du Feÿ, au milieu de quarante-deux hectares de forêt. Une vénérable bâtisse, construite au XVIIe siècle par un conseiller de Louis XIII, qui, depuis 2018, est « un tiers-lieu axé sur le monde de demain et la régénération », selon la brochure et, selon Camille Chaudron, chargée de communication au château, « la plaque tournante des activistes du climat ».
Ici se croisent les univers les plus irréconciliables à première vue
En franchissant les monumentales grilles du domaine, on se frotte d’ailleurs les yeux. Dans ce lieu très Relais & Châteaux, à l’architecture classico-française, on croit être tombé dans un espace de coworking bobo du 11e arrondissement parisien. Des geeks vissés à leur MacBook ont envahi le parc de chênes centenaires, une conférence en anglais se déroule dans le salon resté dans son jus. Dans une autre pièce, l’artiste, juriste et militante de l’Internet Primavera De Filippi cultive ses « plantoïds », d’étranges versions androïdes de plantes, connectées à la blockchain et nourries aux cryptomonnaies, qui discutent avec vous en anglais, font de la musique ou récitent un poème.
© Camille McOuat
Créer des ponts entre l’univers cosmopolite des villes et les territoires ruraux oubliés
« L’idée, c’est d’illustrer les problématiques juridiques que soulève la blockchain », explique-t-elle, sibylline. Car dans l’une des trente-neuf pièces se croisent les univers les plus irréconciliables à première vue : des agriculteurs du cru, des technos de la Silicon Valley, des activistes écolos tendance collapso, des artistes passionnés de blockchains et de NFT, des penseurs du genre et de la « queerness », des spécialistes des neurosciences ou des jeunes des quartiers prioritaires de la région. « Ou comment penser le monde de demain et créer des ponts entre l’univers cosmopolite des villes et les territoires ruraux oubliés », s’enthousiasme Jessica Flore Angel, 33 ans, maîtresse des lieux et instigatrice de ce projet hors normes.
© Camille McOuat / Jessica Flore Angel, 33 ans, maîtresse des lieux
Cette architecte, fille de psychiatres parisiens, passée par l’École alsacienne, a fait des études d’archi à Lausanne et à Yale, mené des missions culturelles et humanitaires entre Côte d’Ivoire et Japon, avant d’ouvrir son cabinet à New York. Autant dire que rien ne la prédisposait à se lancer dans un tel projet, si ce n’est son coup de foudre pour le château, et sa passion pour les utopies communautaires des seventies aux États-Unis. « Enfant, j’ai passé beaucoup de temps en colonie de vacances, raconte-t-elle. Cela m’a marquée. J’ai senti que j’étais très privilégiée sur le plan affectif, avec des parents qui m’ont donné beaucoup d’amour et qui sont toujours ensemble. L’idée de proposer une stabilité, un cadre, un foyer aux brebis égarées m’a nourrie. Mon obsession, c’est le sentiment d’appartenance. Les gens ne réalisent pas à quel point ils sont seuls. »
Mon obsession, c’est le sentiment d’appartenance
Son expérience en Californie au sein de The Embassy, une grande maison victorienne où résidaient une quinzaine de colocataires passionnés de justice sociale et d’entrepreneuriat, l’a aussi convaincue. « Cela a déconstruit mon image de la communauté, associée en France à la secte ou aux punks à chien, explique-telle. Je me suis dit que le coliving était une manière de repenser l’espace domestique et de recréer du lien avec l’autre. » Au château du Feÿ, acquis pour 1,4 million d’euros en 2018 grâce à un apport de ses parents et au soutien des banques, sont ainsi nés les projets les plus ambitieux. Si Jessica a d’abord inscrit son business model dans un cadre plutôt sage, en organisant mariages et séminaires – ce qui a généré 2,5 millions d’euros pour l’économie locale –, elle a rapidement fait du château, avec l’aide de ses parents, de Véro, son bras droit, et d’Ed, son mari britannique, un « memory master » de renommée mondiale à l’allure excentrique, c’est-à-dire un laboratoire d’événements expérimentaux.
© Camille McOuat
Du 3 au 5 mai aura ainsi lieu la quatrième édition du festival Feÿ Arts, accessible au public et rassemblant une multitude d’artistes en art contemporain, musique, gastronomie, architecture, cinéma… L’association les Ami.e.s du Feÿ s’est créée autour des projets de potager bio en permaculture, d’une pépinière en cours de réalisation et d’un labyrinthe de biodiversité dans l’enceinte du château. La Convergence des possibles rassemble des acteurs engagés de la région autour de projets éducatifs ; quant à Feÿtopia, c’est un projet de coliving qui réunit chaque hiver artistes, technologues ou chercheurs pendant un mois ou plus.
Mon obsession, c’est le sentiment d’appartenance. Les gens ne réalisent pas à quel point ils sont seuls.
« J’ai croisé Jessica lors d’un jeûne dans la Drôme, et elle m’a invitée au château, témoigne Léa Stansal, sculptrice sur tissus et résidente. Et j’ai kiffé tout de suite. J’ai découvert que les jeunes générations étaient idéalistes, avaient envie de penser le monde autrement et rêvaient d’autres relations. » Certains reviennent chaque année, bluffés par la tranquillité studieuse du lieu pendant la semaine, et la folie des fêtes organisées le week-end. « Il y a des soirées incroyables, des pièces de théâtre immersives, des jam sessions, des cadavres exquis de poèmes », explique Hermine Bourdin, sculptrice.
© Camille McOuat
Une résidence inspirante
Rosalie Faddoul, qui s’apprête à travailler dans une ONG en aide au développement, en réponse aux crises humanitaires au Liban, quitte Feÿ après y avoir séjourné quatre ans de suite. « J’ai appris plein de choses sur plein de thèmes différents. J’ai également créé un groupe de soutien émotionnel pour permettre à chaque résident de s’exprimer sur des sujets lourds, évoquer les règles de consentement ou de “queerness”, c’est-à-dire bien agir en présence de personnes queer pour ne pas avoir l’air maladroit. » « Ici, c’est un peu une matriarchie », précise Jessica.
© Camille McOuat
« On est arrivés à créer un lieu bienveillant aussi grâce à ça. » Un lieu de passage « d’où l’on sort un peu différent de ce qu’on était quand on y est rentré », selon la formule de Jessica, et où l’on peut aussi bien organiser un dîner collapso comme si on était en 2050 avec un menu à base de criquets que réinventer des rituels sportifs (rebaptisés « Greek God & Godesses Gym », la gym des dieux et déesses grecs) ou faire de la vaisselle une fête. « On a créé le disco dishwashing : on fait la vaisselle sur de la musique disco, l’une des fêtes les plus spectaculaires », assure notre hôtesse, affichant sur son portable la photo d’un premier bébé « Feÿtopian ». « C’est l’enfant d’une directrice artistique et d’un ingénieur qui sont tombés fous amoureux au château », dit-elle. Complètement Feÿ !
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