Changement climatique : «Personne ne devrait pouvoir décider de manipuler les nuages»

Changement climatique : «Personne ne devrait pouvoir décider de manipuler les nuages»

Mathieu Simonet les récolte pour constituer un trésor «poético-politique». Quelques mots, couchés sur du papier bristol au hasard des rencontres, griffonnés à la hâte ou rédigés avec soin, dans une salle de classe, en pleine rue, à bord d’un train, au milieu d’une réunion d’élus locaux. Mercredi 27 mars, la cueillette se fait sur l’esplanade des Invalides, à Paris. L’homme s’y est installé avec une banderole de la couleur du bleu des cieux, sur laquelle il est écrit : «Il n’est point de bonheur sans nuage». Des collégiens d’Asnières-sur-Seine, des lycéennes venues de Vanves et des étudiantes en création littéraire de l’université de CY Cergy, ont fait le déplacement. Il y a aussi un doctorant en physique du vivant. Une chercheuse de l’Institut des relations internationales et stratégiques. Un artiste. Deux députées (Les Ecologistes et Modem). Une femme de ménage de l’Assemblée nationale.

Tous et toutes se sont emparés de leur plume en regardant en l’air. «J’aime regarder les nuages pour me sentir terrestre», peut-on lire sur un bout de papier. «Je vois des gens qui marchent en fixant le sol. C’est triste, ils devraient regarder le ciel, exprime une écriture d’écolier. Les nuages nous protègent en prenant 1 001 formes qui dessinent nos rêves. Prenons soin d’eux comme ils prennent soin de nous.» «Les nuages qui nous entourent sont un bouclier. A notre tour de les protéger.»

Mathieu Simonet, romancier de 51 ans, petites lunettes rondes et sourire permanent, est touché à la lecture de chaque phrase. Ce juriste de formation, ancien avocat au barreau de Paris, c’est «monsieur nuage». Depuis quelques années, l’écrivain se bat pour faire reconnaître un statut juridique à ces amas de rêve, vitaux pour la planète et l’humanité. Plus que soucieux de les préserver au mieux face aux nombreux périls qui se dessinent, aux risques de métamorphose liés au changement climatique, aux aléas auxquels ils sont exposés en raison du développement des techniques de géo-ingénierie dans le ciel – dont l’ensemencement, une méthode de modification météorologique. Fin février, il a été reçu à Matignon. En cette «journée internationale des nuages» du 29 mars, qu’il a créée en 2022, l’auteur de la Fin des nuages (Julliard) revient sur son parcours, ses inspirations, et sa lutte pour donner une voix à ces éléments naturels.

D’où est né votre engagement pour le droit des nuages ?

D’une discussion avec un ami, il y a plus de dix ans maintenant, qui m’a parlé d’un certain Monsieur Moo, «l’artiste qui fait pleuvoir les nuages». En 2011, mon cabinet d’avocats était juste à côté de la Maison européenne de la photographie à Paris et ce musée le mettait justement à l’honneur, en exposant son installation vidéo Paparuda dans laquelle il déclenche de la pluie artificielle. C’est là que j’ai entendu pour la première fois le terme technique «d’ensemencement», qui consiste à diffuser dans les nuages, par le biais de générateurs au sol, de ballons, de fusées ou d’avions, de l’iodure d’argent [qui favorise la formation de gouttelettes d’eau, ndlr] pour contrôler les précipitations. J’ai découvert, grâce au travail de Monsieur Moo, que des enjeux géopolitiques existent depuis des années autour de l’ensemencement. Que des Etats accusent leurs voisins de voler leurs nuages en jetant des produits chimiques en l’air pour en faire de la pluie. A cette époque, je n’avais pas encore compris que les aspects écologiques et environnementaux étaient énormes. J’étais simplement fasciné par le côté romanesque des nuages : j’avais le sentiment de regarder un dessin animé.

A quel moment avez-vous pris conscience que les nuages et leur avenir sont aussi au cœur des problématiques climatiques ?

C’est venu progressivement, mais si je dois retenir une date, c’est 2020, l’année de décès de mon mari, Benoît. Il était le fondateur des concerts du festival Fnac Live [qui se tient en juillet sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, ndlr]. Tous les ans, ce qui l’angoissait le plus, c’était le risque de pluie. Il était en contact permanent avec un météorologue, chaque heure, pour avoir les dernières nouvelles sur les mouvements des nuages. C’était une obsession, évidemment, parce que les caprices du ciel pouvaient très vite ruiner une organisation dans laquelle il mettait toute son énergie. Il a eu beaucoup de chance : il n’y a jamais eu une goutte, hormis pour un concert de Mika en 2015 ! Benoît est décédé en février 2020, juste avant le confinement, sans savoir que la 10e édition du festival allait être annulée. A sa mort, son obsession est devenue la mienne et j’ai commencé à n’avoir plus qu’une question en tête : allait-il pleuvoir le 1er juillet, jour où aurait dû démarrer le festival ? De fil en aiguille, je me suis passionné pour le fonctionnement des nuages et pour la théorie de l’effet papillon. Je me suis demandé si le dernier souffle de Benoît pourrait provoquer la pluie cinq mois plus tard, pendant ce «non Fnac Live». J’ai contacté de nombreux scientifiques. Je me suis rendu compte que beaucoup de choses étaient encore actuellement à l’état de recherches et de questionnements au sujet des nuages.

C’est comme ça que vous en êtes arrivé à inaugurer, le 29 mars 2022, une journée internationale des nuages…

Oui. Ce jour-là, je propose à ceux qui le souhaitent de s’allonger sur l’herbe pour regarder les nuages et écrire ce qu’ils voient. Ces textes constituent une «pétition poético-politique» qui nous rend légitimes à demander une protection pour les nuages. Plus de 2 000 personnes dans une dizaine de pays ont déjà participé à cette action. L’objectif est d’infuser l’idée que les nuages constituent un bien commun. Personne ne devrait pouvoir décider unilatéralement de les manipuler. Aujourd’hui, les techniques d’ensemencement se développent sans qu’on ne sache encore réellement si les résultats sont probants [la Chine, entre autres, est en train d’investir dans le projet Sky River qui s’étend sur plus d’un million de kilomètres carrés pour augmenter les pluies dans ses régions victimes de sécheresse]. On dispose de très peu d’études sur leurs effets secondaires, au niveau sanitaire et environnemental. Il faut préserver les nuages, au moins par précaution. Cet enjeu est d’autant plus important dans un contexte de raréfaction de l’eau et de velléités de régler les problèmes climatiques par de «simples» solutions de géo-ingénierie.

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Vous avez sollicité l’Unesco, organe de l’ONU. Qu’attendez-vous de ces organisations internationales ?

La création d’un droit des nuages. Reconnaître, par exemple, les nuages comme patrimoine mondial de l’Unesco aurait une portée symbolique importante. Pour le moment, l’Unesco répond que c’est impossible car les nuages sont mobiles et qu’ils sont partout. Sur un plan juridique, je ne partage pas cette analyse. Je pense qu’il faut continuer de réfléchir à cet enjeu. En attendant d’avancer sur ce point, l’objectif intermédiaire est de tenter d’obtenir la reconnaissance par l’Unesco de la journée internationale des nuages. Ce serait déjà merveilleux. La prochaine fenêtre de tir est en novembre 2025. D’ici là, je dois trouver un ambassadeur pour porter ce dossier.

Ces combats ne sont-ils pas, malheureusement, que de l’ordre du symbole ?

Inscrire les nuages au patrimoine de l’Unesco n’est certainement pas une mesure qui permettra, à elle seule, de tout régler… Mais, pour la prise de conscience, c’est très important parce que les nuages ont un rôle singulier dans notre imaginaire. Par ailleurs, ce serait le moyen d’amorcer un processus de protection des nuages, et donc de réglementation. On ne peut pas laisser cette technologie dans un Far West juridique et continuer de tolérer que chacun joue, à sa guise, aux apprentis sorciers.

Etes-vous pour une interdiction formelle de l’ensemencement des nuages ?

Je ne dis pas qu’il faut l’interdire à tout prix. Je me pose encore beaucoup de questions. Je dis simplement qu’il faut réunir toutes les informations dont on dispose et lancer des études complémentaires. En exigeant, par exemple, que tous les ensemencements soient accompagnés d’une étude d’impact. Et il faut, dans le même temps, commencer à poser des limites à l’échelle internationale pour éviter toute «guerre des nuages». Qui peut dire qu’en 2050 aucun Etat ne sera capable de bloquer les nuages aux frontières ou de les contrôler à distance ? C’est une nécessité que de réglementer les choses. Il existe bien des droits et des accords pour les océans. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour les nuages.

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Et la France, dans tout ça ? Portez-vous des requêtes spécifiques ?

A court terme, ce serait important qu’elle ratifie la convention Enmod. Ce texte adopté en 1976 par l’ONU prohibe l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires. L’an dernier, un courrier a été adressé au ministère des Armées pour comprendre pourquoi la France n’y a toujours pas adhéré. Une réponse vient d’être apportée. Cette convention Enmod présenterait un risque d’interprétation : la ratifier pourrait affaiblir la force de dissuasion nucléaire. Cette position ne me convainc pas. Tout cela mériterait un débat.

Quelles sont vos autres revendications ?

Mon autre demande principale, c’est que la France se lance dans une réflexion collective sur le droit des nuages. Pour cela, une commission parlementaire pourrait être constituée. Notre pays pourrait montrer l’exemple sans attendre une convention de l’ONU. De même, des départements, des villes, voire des établissements scolaires pourraient s’emparer, chacun à leur niveau, de cet enjeu du droit des nuages. Un tel mouvement serait inspirant au niveau international. En parallèle, on pourrait étudier l’idée de faire du nuage une personnalité juridique, comme le sont les êtres humains ou les sociétés. Cette question a déjà été posée pour les fleuves ou les arbres. Des magistrats pourraient être saisis par des citoyens pour représenter l’intérêt des nuages dans un procès.

Et pour l’ensemencement des nuages sur le territoire ?

En France, nous pratiquons cette technique depuis les années 50 sans aucun cadre. Cela fait soixante-dix ans que l’Association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques utilise l’ensemencement pour limiter les dommages causés par la grêle. Ce sont surtout les agriculteurs qui font appel à leur service. A l’époque, le préfet du Loir-et-Cher s’était laissé convaincre de recourir à cette méthode. Il a été pointé du doigt, puis surnommé jusqu’à sa mort «le voleur de nuages»… Ce sujet est sensible. Nous devons dès maintenant nous y plonger pour anticiper les mauvaises surprises. Et pour faire de la politique autrement. Avec plus de douceur, en valorisant le doute, l’écoute et le principe du contradictoire. C’est un combat qui doit être porté par tous, par les enfants, les adolescents et les adultes.

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